Fausta Vaincue
Attendez-moi dans l’hôtel, et quand vous me verrez revenir, c’est que ma besogne à moi sera terminée et que la vôtre commencera. Allez, messieurs…
Ruggieri ayant parlé, s’éloigna aussitôt. Pas un instant l’idée ne vint aux trois spadassins de s’étonner du ton d’autorité qu’avait pris l’astrologue et de résister aux indications ou plutôt aux ordres qu’il venait de leur donner. Ruggieri passait pour entretenir des cordiales relations avec les puissances infernales, et il leur semblait que seul ce sorcier pouvait, parmi tant de moines venus à Chartres, retrouver celui qu’il s’agissait d’expédier
ad patres
en bonne et due forme. Ils rentrèrent donc à l’hôtel, et se conformant aux instructions qu’ils avaient reçues, se mirent à monter la garde devant la porte du roi.
Toute la journée, ils attendirent le retour de Ruggieri. La nuit tomba. Le roi reçut ses gentilshommes comme d’habitude, et leur annonça le départ pour Blois. La présence des trois spadassins qu’il avait chargés de retrouver le moine lui fit froncer les sourcils. Mais habitué à garder pour lui ses impressions, il ne souffla mot de cette affaire et supposa que le moine avait réussi à fuir.
Le résultat de ses réflexions fut qu’il modifia la date du départ pour Blois, et décida que dès le lendemain on se mettrait en route. Puis il s’alla coucher en recommandant à Crillon de doubler partout les gardes. Chacun se retira. Seuls avec les gens d’armes qui veillaient, Chalabre, Sainte-Maline et Montsery demeurèrent dans l’antichambre.
A onze heures, et comme tout dormait dans l’hôtel, Ruggieri parut, et du seuil de la porte fit signe aux trois jeunes gens. Ils tressaillirent. Chacun s’assura qu’il avait bien son poignard, et s’enveloppant en hâte de leurs longs manteaux de nuit, ils suivirent l’astrologue… Dans la rue, il leur dit simplement :
– Venez…
Pas une autre parole ne fut échangée. Ils marchèrent en silence, Ruggieri devant, les trois autres venant ensuite de front. Ils étaient insoucieux et n’éprouvaient nulle émotion à la pensée qu’ils allaient supprimer une existence humaine. Ruggieri entra enfin dans une ruelle, et s’arrêta devant une assez pauvre maison élevée d’un seul étage.
La nuit était noire. Une faible lumière, d’une fenêtre de l’étage, jetait dans cette nuit de vagues lueurs qui éclairaient confusément une enseigne qui se balançait au bout de sa tringle. Cette maison était une auberge, et cette auberge c’était celle du
Chant du Coq…
Ruggieri leva le bras vers la fenêtre éclairée et dit :
– Il est là…
– Bon ! grogna Chalabre, par où entre-t-on ?
– Cette porte, fit Ruggieri. Elle donne dans une écurie. Vous franchissez l’écurie. Vous arrivez dans une cour. Il y a un escalier de bois. En haut de l’escalier, une porte vitrée. C’est là !…
Chalabre, Sainte-Maline et Montsery se glissèrent vers la porte de l’écurie, nerveux. Et qui les eût vus à ce moment n’eût pas reconnu les physionomies insouciantes et au demeurant assez fines et spirituelles des trois jeunes gentilshommes. Leurs poignards à la main, ramassés et courbés, ils se glissèrent dans l’écurie ; Chalabre avait un sourire qui découvrait ses canines aiguës ; Sainte-Maline, pâle et le visage convulsé, venait derrière Chalabre, et enfin Montsery qui riait silencieusement, d’un rire féroce… Ruggieri, en les voyant disparaître dans l’écurie, murmura :
– Jacques Clément est mort !… Un de plus !… A qui la faute ?… Puisque la mère est morte, le fils peut bien mourir !…
Il écouta un instant, tout frissonnant. Et il s’en alla à grands pas et rentra à l’hôtel de Cheverni, où ayant trouvé la reine-mère qui veillait, il lui dit :
– Rassurez-vous, Catherine. Si le roi doit mourir, ce ne sera pas de la main de Jacques Clément…
– On a tué le moine ? demanda la vieille reine palpitante.
– On le tue ! répondit Ruggieri, qui alors regagna les combles de l’hôtel et se remit au travail… car c’est à peine s’il dormait deux ou trois heures par jour.
Il s’assit donc à sa table et reprit son travail au point précis où Catherine l’avait interrompu. Quelques instants plus tard, il avait oublié qu’il y eût au monde une Catherine de Médicis, un roi Henri III et un Jacques Clément que des assassins conduits par lui étaient en train
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