Fausta Vaincue
rabattu, elle luttait avec un courage désespéré contre l’amour qui bouillonnait dans son sein. Puis, peu à peu, cette forme de statue s’anima ; la raideur s’effaça ; l’attitude devint féminine et, enfin, Pardaillan, avec un étonnement mêlé de crainte et de pitié, entendit que Fausta sanglotait doucement.
Fausta pleurait sur son rêve !… Elle ne pleurait plus, comme dans le palais de la Cité, sur Pardaillan qui allait mourir, sur le sacrifice de son amour à son orgueil de vierge et de prêtresse… elle pleurait sur la déroute de son orgueil. L’amour, une fois de plus dans l’éternelle histoire de l’humanité, l’amour était vainqueur.
Elle se rapprocha un peu plus de Pardaillan. Sa main se crispa sur son bras. Et dans un murmure d’une douceur désespérée, elle prononça :
– Ecoute-moi. Mon cœur éclate. Je dois dire aujourd’hui des choses définitives. Et si je te les dis, à toi, alors qu’il me semblait que jamais aucun homme ne les entendrait, c’est que tu n’es semblable à aucun homme… ou plutôt ! non ! ceci est une excuse indigne… Si je dis que j’aime, c’est que, malgré moi, l’amour est en moi. Pourquoi est-ce toi que j’aime ? Je ne sais pas et ne veux pas le savoir… mais c’est toi que j’aime… Dans mon palais, je te l’ai dit sans crainte. Car alors, j’étais sûre de tuer mon amour en te tuant… Je te croyais mort, et je pleurais sur toi avec la joie profonde de me dire que j’avais triomphé de moi-même et que j’avais le droit de pleurer… Tu es vivant ! Et lorsque je veux te crier que je te hais, mes lèvres, malgré moi, te disent que je t’aime… Me comprends-tu, Pardaillan ?
– Hélas, madame ! dit Pardaillan.
– Moi aussi, continua Fausta, moi aussi, par les printemps embaumés, par les soirs chargés de mystérieuse beauté, moi aussi, jeune, belle, adulée, je me disais : « N’aimerais-tu pas ? Laisserais-tu s’écouler le printemps de ta vie sans cueillir la fleur qui, sur tous les chemins, se penche vers toi ? Non, tu n’aimeras pas comme les autres femmes. Tu monteras plus haut que ces étoiles, plus haut que ce ciel dont l’œil humain n’ose mesurer la hauteur et, dans ton orgueil de vierge, tu planeras au-dessus de l’humanité… » Voilà ce que je me disais, Pardaillan. Je t’ai vu, et d’une seule secousse violente et douce, tu m’as ramenée du ciel sur la terre…
Fausta se tut. Pardaillan baissa la tête, et après quelques secondes de silence, il dit doucement :
– Madame, pardonnez-moi ma simplicité d’esprit. Je ne suis qu’un coureur de routes, prenant de la vie, en passant, tout ce qui en est bon à prendre ; j’ai le malheur de voir l’existence humaine comme une chose très simple et très belle que gâtent les chercheurs de complications : que chacun fasse ce qu’il veut en se gardant comme de la peste d’attenter à la volonté du voisin. A ce prix, je crois que l’humanité serait heureuse. Pourquoi diable vouliez-vous chercher le bonheur si haut et si loin, alors qu’il est partout autour de vous ?
– Pardaillan, reprit Fausta, comme si elle n’eût pas entendu, avec cette même voix de douceur désespérée, Pardaillan, tu connais maintenant ma pensée mieux que jamais nul ne l’a connue. Or, écoute-moi. Tu m’as dit, tu me répètes que je trouverai le bonheur autour de moi si je veux renoncer à la domination sublime que je rêvais. Pardaillan, j’y renonce ! Je ne suis plus qu’un être vivant parmi d’autres êtres. Je renonce à conduire Guise…
Le chevalier tressaillit et ne put s’empêcher de respirer.
– Je renonce à tout ce que j’avais lentement et patiemment élaboré. Demain, je dis adieu à la France. Je vais chercher au fond de l’Italie la paix, la joie, le bonheur et l’amour… mais…
Pardaillan frémit.
– Mais, continua Fausta, c’est toi qui me conduis !… Voilà ce que je t’offre… Là-bas, j’ai des domaines, des richesses. La vie nous sera miséricordieuse. Si tu veux, demain nous partons. Pardaillan, poursuivit-elle avec une espèce de fièvre, celle qui s’offre à toi ne s’offrira plus jamais ni à toi ni à personne. Cette minute est unique. (Elle rabattit, arracha plutôt son capuchon). Regarde-moi ! Lis dans mes yeux que celle qui a rêvé une destinée surhumaine peut rêver un surhumain amour !…
Elle était belle !… non plus de cette beauté tragique et fatale qui inspirait
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