Fausta Vaincue
ses paupières de vieille fille. Mais Philomène n’était pas seule : elle était accompagnée d’une vieille, sorte de paysanne mal vêtue, aux yeux défiants, à la voix revêche, et c’était elle qui venait de crier :
– Que faites-vous là ?…
Cette vieille, c’était sœur Mariange.
– Mais, dit Croasse, nous venions voir Belgodère, notre cher Belgodère, notre excellent ami Belgodère… il va bien ?
– Belgodère ?… Qu’est-ce que Belgodère ? fit Mariange d’un air pointu.
– Le bohémien… vous savez bien… qui logeait là…
– Oui. Eh bien !, il est parti. Dieu merci, le couvent est débarrassé de ce païen !…
– Parti ! exclama Croasse. Ah ! Philomène, ma chère Philomène, que je suis donc heureux de vous revoir !…
Et avant que Philomène eût pu s’en défendre, il la saisissait, la soulevait, l’embrassait sur les deux joues et la reposait ensuite sur le sol. Philomène, de ce double baiser, le premier qu’elle eût reçu de sa vie, demeura abasourdie, pantelante, stupide d’émoi. Elle avait quarante ans passés, la pauvre Philomène.
Mais si la gloire n’attend pas le nombre des années aux âmes « bien nées », l’amour, dans le cœur d’une nonne qui a vieilli en rongeant son frein et en maudissant le célibat, ne compte pas non plus le nombre des hivers.
– C’est pourtant la vérité pure ! grommela Picouic. Elle l’aime !… Croasse a trouvé une femme qui l’aime !
Mariange était indignée.
– Sortez, dit-elle, hâtez-vous de sortir des terres du couvent, mauvais sacripants que vous êtes…
– Oh ! ma sœur, ma sœur ! dit doucement Philomène, M. Croasse n’est pas un sacripant… il a une si belle voix !…
– Ah ! ah ! murmura Picouic, c’est donc cela !… A la bonne heure !…
– Enfin, que faites-vous ici, mauvais drôles ? reprit la mégère qui pourtant s’apaisait.
– Je vais vous le dire, madame, fit Picouic en tirant son chapeau et en essayant de faire comme il avait vu faire à Pardaillan.
– Appelez-moi sœur Mariange, dit la vieille.
– Eh bien !, ma sœur, ma digne sœur Mariange, bien nommée, car vous devez être un ange de vertu…
– La Vierge m’en est témoin !…
– Voici donc ce qui m’amène, ce qui nous amène… Je dois vous dire que je suis l’ami intime de M. Croasse que vous voyez ici, à tel point qu’on nous prend pour les deux frères…
– Oui-dà !… Eh bien ?…
– Eh bien !, depuis qu’il est venu ici, mon ami ne dort plus, ne mange plus, il n’est plus que l’ombre de lui-même, et s’il continue à maigrir ainsi, il n’en restera plus rien, pas même l’ombre.
Le fait est que Croasse était d’une exorbitante maigreur.
– Et tout cela, demoiselles et seigneurs… je veux dire : ma sœur, ma digne sœur Mariange, tout cela parce que mon ami, mon frère a oublié ici, en partant, un trésor…
– Un trésor ! fit Mariange dont les petits yeux pétillèrent.
Croasse ouvrait des yeux énormes.
– Oui, un trésor, le plus précieux, le plus impayable, demoiselles, bourgeois et seigneurs… je veux dire : ma sœur… ma digne sœur Mariange.
– Et quel est ce trésor, mon cher monsieur ? demanda Mariange tout à fait radoucie.
– Son cœur ! Oui, son cœur qu’il a laissé entre les mains de la belle Philomène ici présente !…
– Quelle infamie ! cria sœur Mariange.
– Ma sœur… ma sœur… supplia Philomène palpitante.
Sœur Mariange allait répliquer vertement, lorsque tout à coup elle s’élança vers la porte de l’enclos qui venait de s’ouvrir, livrant passage aux deux jeunes filles.
– Sainte Vierge ! cria-t-elle, les deux païennes vont fuir !
Et elle se mit à courir de toute la force de ses jambes courtes… Violetta et sa compagne, légères comme des biches, bondissaient déjà vers la brèche… Sœur Philomène était demeurée sur place, pétrifiée. Quant à Croasse, il ne comprenait rien à ce qui se passait en ce moment.
Picouic, avec le coup d’œil sûr et prompt de l’homme affamé qui entrevoit un moyen de s’assurer le gîte et la pitance, étudia la situation.
– C’est ici le moment de faire coup double ! songea-t-il.
En un instant, sa décision fut prise : il ouvrit l’immense compas de ses jambes, et se mit à arpenter le terrain, gagnant sur les deux fugitives pour leur couper la retraite. En quelques enjambées, il eut atteint la brèche
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