Fausta Vaincue
qu’elle venait de porter au cardinal un coup décisif. Cet homme était donc encore ce qu’il avait toujours été… le faible qui n’ose prendre une décision, l’irrésolu qui se laisse ballotter au gré des événements comme une épave par les flots de la vie…
Et c’était un Farnèse !… C’est-à-dire un membre de cette famille d’aigles qui avait étonné l’Italie par son audace, par sa magnificence et parfois son génie… c’est-à-dire un parent de cet Alexandre Farnèse qui, à ce moment même, exécutait pour le compte de Philippe d’Espagne une des expéditions les plus hardies que seuls les éléments déchaînés devaient faire avorter.
Le cardinal était bien toujours l’homme dont Fausta connaissait admirablement la faiblesse. Elle savait que, quelle que fût sa destinée, Farnèse courberait la tête, ne se révolterait pas contre le malheur… elle savait qu’il y avait en lui une sorte de fatalisme à la façon des anciens qui disaient :
– Il est inutile et dangereux d’essayer d’échapper aux décrets du Destin…
– Cardinal, reprit Fausta, je n’essayerai pas de vous écraser sous une générosité qui n’existe pas ; si je vous ai laissé vivre, si je viens à vous, si je vous propose de vous faire libre, de faire tomber la barrière qui vous sépare de Léonore, si je vous offre de vous la rendre et de vous rendre votre fille, c’est que j’ai besoin de vous. Avec un homme tel que vous, Farnèse, dans les circonstances graves où je me trouve, rien ne peut nous sauver tous deux qu’une franchise, une sincérité, une loyauté dignes de vous et de moi…
– Violetta ! murmura Farnèse ébloui !… Léonore et Violetta !… Toute ma vie !…
Et une espérance plus ferme, plus lucide rentra dans ce cœur. Car il connaissait l’orgueil et l’ambition de Fausta, et il fallait qu’elle eût en effet bien besoin de lui pour parler comme elle venait de faire.
– Parlez, madame, dit-il d’une voix frémissante, et s’il ne faut que de la loyauté pour atteindre au bonheur que vous me laissez entrevoir…
– Il faut aussi du courage… exposer votre vie peut-être…
– Ah ! s’il ne faut que risquer ma vie, moi qui ai risqué le salut de mon âme… à quoi ne m’exposerai-je pas si seulement je puis espérer sinon d’effacer le passé inoubliable, du moins de donner un peu de bonheur à ces deux êtres que j’adore !
– Eh bien, dit Fausta, j’ai besoin de vous, Farnèse ! Voilà la vérité… Tandis que je suis ici, tandis que je prépare les grands événements que vous connaissez, Sixte, rentré en Italie, travaille avec sa prodigieuse activité… Notre plan initial qui était d’attendre la mort de ce vieillard pour nous déclarer, ce plan est renversé… D’abord, Sixte ne meurt pas ! Ensuite, ce qui se passe en Italie nous oblige à précipiter les choses… En France, tout va bien… Guise est docile… Guise a repris l’énergie nécessaire… Valois va succomber et bientôt ce royaume aura le roi de notre choix.
Farnèse écoutait avec une attention profonde. L’abandon avec lequel Fausta lui faisait part de pareils secrets lui était un garant de sa sincérité. Et sa simplicité de parole et d’attitude la rapprochait du cardinal en la faisant plus humaine.
– Donc, continua Fausta, ici, en France, Dieu se déclare pour nous…
– C’est donc en Italie que ma faible puissance pourrait vous être utile ?…
– Oui, Farnèse. L’Italie m’échappe. Plusieurs de nos cardinaux ont fait leur soumission au Vatican. Une grande quantité d’évêques demeurent dans l’attente, prêts à se retourner contre moi au premier coup qui me frappera. Quant aux prêtres qui feignent d’ignorer les engagements qu’ils ont pris, et dédaignent même de répondre à mes messagers, ils sont innombrables… Or, c’est vous, Farnèse, qui aviez entraîné la plupart de ces évêques et de ces cardinaux… C’est lorsqu’ils vous ont su séparé de moi qu’ils ont tourné leur sourire vers le vieux Sixte.
Un profond soupir de sourde joie souleva la poitrine du cardinal. Oui, tout cela était vrai ! Tout cela, lui-même l’avait prévu ! Fausta avait bien réellement besoin de lui, et elle était prête à tous les sacrifices pour s’assurer son aide !…
– Voici donc ce que je suis venue vous demander… Vous me direz si vous vous sentez de taille à accomplir une telle mission, et je vous dirai ensuite
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