Fausta Vaincue
tout ce que je puis faire pour votre bonheur… Il s’agirait, cardinal, de vous rendre en Italie, de voir les hésitants, et surtout ceux qui se déclarent contre nous. Vous avez sur eux une autorité, un ascendant qu’ils ont tous reconnu. Pour les faire rentrer dans le devoir, je m’en rapporte aux arguments que vous trouverez dans votre grand cœur, vous qui avez pu les décider une fois déjà !… Mais pour frapper leurs esprits d’une terreur salutaire, vous leur direz ce qui est la stricte et impitoyable vérité…
Ici, Fausta s’arrêta comme si elle eût eu quelque hésitation.
– Parlez, madame, dit Farnèse, parlez sans crainte : même si nous devons être ennemis, les secrets sacrés que vous me confiez demeureront liés dans mon cœur comme dans une tombe jusqu’à l’heure où je devrai m’en servir pour vos intérêts.
– Eh bien !, s’écria Fausta emportée par un mouvement de passion qui eût achevé de convaincre Farnèse s’il ne l’eut été déjà, dites-leur donc, à ces prêtres orgueilleux et rebelles, dites-leur d’abord ce que vous savez déjà : qu’Henri de Valois va mourir ! qu’Henri 1 er de Lorraine va être roi de France… qu’il va répudier Catherine de Clèves… que je serai, moi, la reine de ce grand et puissant royaume !… Mais dites-leur aussi une chose que vous ignorez… Alexandre Farnèse a préparé et réuni dans les Pays-Bas une armée, la plus forte, la plus terrible qu’on ait vue depuis la grande armée de Charles-Quint !… Ces troupes devaient être embarquées à bord des vaisseaux de Philippe d’Espagne pour être jetées en Angleterre… Une tempête a détruit l’Invincible Armada… Mais Alexandre Farnèse demeure avec son armée intacte puisqu’elle n’a pu être embarquée… Et maintenant, écoutez ! Alexandre, sur un signe de moi, est prêt à entrer en France… il attend… et dès que Valois sera mort, ses troupes, comme un torrent, viendront se joindre aux troupes de la Sainte Ligue [4] … Vous savez l’admiration et la terreur que le nom d’Alexandre Farnèse inspire en Italie… Dites-leur donc qu’il m’est tout dévoué ! Que ce torrent, je le précipiterai sur l’Italie ! que j’en dirigerai à mon gré la course et les ravages ! Malheur ! malheur aux insensés qui auront appelé sur eux ce nouveau fléau de Dieu !…
Fausta s’arrêta frémissante, palpitante… Et le cardinal, subjugué comme il l’avait été si longtemps par cette femme, courba la tête et murmura :
– Que Votre Sainteté veuille bien me donner ses ordres : ils seront exécutés…
Une fois de plus, Farnèse était vaincu !…
– Cardinal, dit Fausta avec cette émotion qu’elle savait non pas imiter, mais éprouver réellement quand il le fallait, et que surtout elle savait communiquer, cardinal, vous êtes donc de nouveau avec nous, vous rentrez donc dans le giron de notre Eglise ?
– Madame, dit sourdement Farnèse, je vous ai promis de vous obéir, mais c’est parce que vous m’avez promis, vous, de me donner le moyen de sortir de cette Eglise, de toute l’Eglise…
– C’est vrai, murmura Fausta pensive, la passion est plus forte chez vous que la foi. Mais Dieu a ses voies qui nous demeurent secrètes et ses intentions qui nous sont impénétrables… Qui sait si hors de son Eglise vous ne le servirez pas avec plus de force efficace ?… Farnèse, vous êtes donc résolu à partir pour l’Italie ?…
– Dès que vous m’en donnerez l’ordre.
– Et à remplir la mission que je viens de vous exposer ?
– Quand faut-il partir ?
Fausta parut calculer un instant, puis elle dit :
– Tenez-vous prêt à partir le vingt-deux de ce présent octobre.
Elle se leva alors. Farnèse l’interrogeait du regard, comme s’il eût attendu une communication encore.
– Vous vous demandez pourquoi le vingt-deuxième jour de ce mois, n’est-ce pas, cardinal ? dit Fausta avec un sourire.
– Non, madame, dit le cardinal palpitant, mais vous m’avez fait tout à l’heure une promesse.
– Celle de vous rendre Léonore et son enfant… Je m’explique, Farnèse : je ne prétends pas vous rendre la pauvre folle que le bohémien Belgodère, un jour, rencontra, errante et sans gîte, et qu’il attacha à sa pitoyable destinée ; non, ce n’est pas de la diseuse de bonne aventure que je parle ; ce n’est pas de la bohémienne Saïzuma ; ce n’est pas de l’infortunée que vous avez
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