Fausta Vaincue
regard, Dieu vous pardonne, à vous qui avez fait le mal. Mais il ne me pardonne pas, à moi qui n’ai pas fait le mal. Ceci est juste…
– L’amertume déborde de votre âme, dit Farnèse, et c’est pourquoi vous blasphémez… mais achevez ce que vous vouliez dire.
– Simplement ceci : vous partez… et moi, je reste…
Le cardinal baissa les yeux, mais ne dit pas un mot. Claude se fit plus humble encore. D’une voix plus basse où tremblait un sanglot, il reprit :
– Je reste, monseigneur… Ne me direz-vous rien ?… Cette enfant que j’adore… qui est ma fille… car enfin, elle est ma fille !… vous partez avec elle… vous me l’enlevez… Monseigneur, n’avez-vous rien à me dire ?…
– Que puis-je donc vous dire, fit sourdement le cardinal, sinon que je compatis à votre douleur…
– Eh quoi, monseigneur, dit Claude avec plus d’humilité encore, est-ce vraiment tout ce que vous trouvez comme consolation ?… Cette enfant, dès que je l’eus prise dans mes bras, dès que son premier sourire informe et si doux m’eut remercié de l’arracher à la mort, eh bien, je me mis à l’aimer ! J’étais seul au monde ; elle fut le monde pour moi… Pendant des années, je vécus de ses sourires et de ses caresses. Je ne l’aimais plus, je l’adorais !… Comprenez-vous ce que cela veut dire ?… Oui, sans doute !… Or, imaginez maintenant que cette adoration même n’est plus en moi… que ce qui est en moi, c’est le sentiment que ma vie existe seulement dans la vie de l’enfant, que les battements de mon cœur sont les battements du cœur de Violetta ! Monseigneur… de grâce… ayez pitié de ma détresse !… Pourquoi voulez-vous m’arracher le cœur en m’arrachant ma fille ?…
De nouveau, il se courbait. Et maintenant, il pleurait à chaudes larmes.
– Parlez, balbutia le cardinal, que puis-je ?… Qu’avez-vous espéré ?… Qu’avez-vous entrevu ?…
Un lointain espoir fit tressaillir maître Claude qui, d’une voix rapide répondit :
– Pendant que cette femme parlait, j’ai entrevu… j’ai espéré que le bonheur vous rendrait généreux, monseigneur ! Que vous auriez une minute assez de courage pour me dire : « Tu es le bourreau, c’est vrai ! Mais tu es le père, le vrai père de Violetta !… Viens donc avec nous et prends ta part de bonheur ! »…
– Jamais ! gronda violemment le prince Farnèse… Maître, perds-tu la tête ? Oublies-tu ce que tu as été ? Comment pourrais-je te laisser vivre dans l’ombre de ma fille, sachant ce que tu fus !…
– Monseigneur, murmura Claude dans un soupir qui était un râle de douleur, vous me dites ce que je me suis dit maintes fois. Mais sachez qu’elle sait, vous dis-je, ce que je fus ! Et cet ange ne m’a pas repoussé…
– Mais moi, moi !… je mourrais de honte et d’horreur à voir ma fille te donner la main…
– Monseigneur… vous ne me comprenez pas… Qu’est-ce que je demande ?… De vivre près de Violetta ? D’être toujours à ses côtés ? Oh ! non, ne croyez pas cela !… Je serais simplement un de vos serviteurs. Je ne vivrais même pas dans votre palais. Tenez, vous pourriez m’employer à cultiver vos jardins… je suis un excellent jardinier, je vous le jure… Et alors, il me suffirait que de temps en temps j’aperçoive l’enfant… de loin… sans me montrer…
– Jamais ! gronda le cardinal.
– Je vous jure que je ne lui parlerai pas… qu’elle ne me verrait jamais… il me suffirait, vous dis-je, de voir qu’elle est heureuse…
– Maître Claude, dit froidement Farnèse, renoncez à ces idées. Vous-même vous sentez et comprenez que l’ancien bourreau juré de Paris ne peut vivre auprès d’une princesse Farnèse, même parmi ses serviteurs. Seulement, je m’engage sur le salut de mon âme à vous faire tenir tous les trois ou six mois une lettre qui vous parlera d’elle… qui vous dira sa vie…
Claude, encore une fois, se redressa et se croisa les bras.
– Vraiment ? Vous me jurez cela ?… dit-il.
– Sur le salut de mon âme !
– Et c’est tout ?… C’est bien toute la part que vous me faites !…
– Sur mon âme aussi, c’est tout !…
– Vous dites que jamais vous ne consentirez à me laisser vivre près de mon enfant ?
– Jamais !…
Il y eut une longue minute de silence. Et le cardinal put croire qu’il avait dompté le bourreau. Mais maître Claude, les sourcils
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