Fausta Vaincue
qui se cabrent et fuient, et enfin Violetta sauvée… A ce souvenir, un amer soupir gonfla son sein.
– Vous reverrez votre sœur Madeleine, dit-elle.
– Est-ce vrai ? palpita Jeanne. Et sera-ce bientôt ?…
– Bientôt, oui, je le crois… mais, mon enfant, je suis venue vous trouver ici où je vous ai mise à l’abri, pour vous entretenir d’un sujet bien grave… Dites-moi, vous rappelez-vous votre père ?…
– Hélas ! madame, balbutia la malheureuse enfant qui éclata en sanglots, comment pourrais-je l’avoir oublié, alors qu’il y a quatre mois à peine, mon pauvre père plein de vie nous prodiguait encore ses caresses, à ma sœur et à moi ?…
– Et votre mère ?
Jeanne considéra Fausta avec un regard de douloureux étonnement.
– Ma mère ? murmura-t-elle.
– Oui. Je vous demande si vous vous rappelez votre mère…
– Madame, vous ne savez donc pas que ma mère est morte peu de temps après m’avoir donné le jour ? Ma sœur Madeleine, plus âgée que moi, pourra sans doute vous parler d’elle… car elle m’en a parlé bien souvent… mais moi… je ne l’ai vue qu’à un âge dont je n’ai pas conservé le souvenir…
– Et qu’en disait votre sœur ?… Quelle femme était votre mère ?… Belle, n’est-ce pas ?
– Très belle, madame ; Madeleine me disait que notre mère était d’une admirable beauté…
– N’avait-elle pas des yeux bleus ?…
– Oui, madame, fit Jeanne étonnée.
– De grands cheveux blonds ?…
– C’est bien le portrait que m’en a souvent tracé Madeleine… Mais madame… auriez-vous connu ma mère ?…
– Je la connais, dit Fausta simplement.
– Mon Dieu, madame, s’écria Jeanne tremblante, que dites-vous là ?…
– Je dis que je connais votre mère…
– Oh !… mais… vous parlez comme si ma mère n’était pas morte depuis de longues années déjà… mais c’est une folie… une imagination que je me crée ?
– Dites-moi, mon enfant, reprit Fausta sans répondre, est-ce que votre père vous parlait souvent de votre mère ?…
– Jamais, madame…
Fausta eut un tressaillement de joie.
– Sans doute mon pauvre père cherchait à écarter de lui de pénibles souvenirs : sans doute il souffrait cruellement de la mort de notre mère… c’est du moins l’explication que me donnait ma sœur…
– Et si je vous disais qu’il y a une autre explication plus naturelle, plus juste au silence de votre père ?… Si je vous disais que votre mère n’est pas morte, mais simplement disparue ?…
– C’est un rêve ! murmura Jeanne en secouant la tête.
– Pourquoi un rêve ?… Ecoutez-moi !… Supposez qu’à la suite d’une grande terreur, votre mère soit tombée malade… Supposez qu’elle soit… par exemple… devenue folle…
Jeanne frémissait de tout son être. Elle entendait. Elle écoutait. Et elle se refusait à croire à la réalité de la minute qu’elle vivait à ce moment.
– Si cela est, continua Fausta, si votre mère, à la suite de quelque catastrophe, a perdu la raison ; si votre père a désespéré de la guérir, si enfin dans un accès de sa folie, elle a disparu, et si votre père, après l’avoir longtemps cherchée, a dû renoncer à la retrouver, n’est-il pas naturel qu’il vous ait fait croire qu’elle était morte ?…
– Madame !… madame ! balbutia la jeune fille, c’est moi qui crains de devenir folle en ce moment !…
– Eh bien, Jeanne, tout ce que je viens de vous dire est l’exacte vérité !…
– Impossible ! oh ! impossible !…
– Cela est pourtant ! reprit Fausta avec force.
Jeanne tomba à genoux et se prit à sangloter doucement. Claudine de Beauvilliers avait assisté à cette scène avec satisfaction. Elle se demandait avec une sorte d’épouvante quel but poursuivait cette femme. Mais si nous avons donné à l’abbesse le juste tribut de notre admiration, force nous est d’avouer maintenant qu’elle était trop éblouie par la perspective des deux cent mille livres pour songer à approfondir les actes et les projets de sa terrible protectrice. Fausta se pencha vers Jeanne Fourcaud, la releva et lui dit doucement :
– Ne pleurez pas, pauvre petite… Ou plutôt… oui, pleurez… car votre mère, hélas ! n’est pas encore guérie… Seulement je sais, moi, le moyen de lui rendre la raison… C’est de vous conduire à elle… C’est vous, vous seule, qui pouvez
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