Faux frère
suite et arrivèrent, au bout d’un couloir, dans un petit bureau poussiéreux où un clerc, assis à une table haute dans un coin, recopiait des lettres. À ses côtés se tenait un homme qui attirait les regards par sa haute taille et sa forte carrure. Nettler le présenta : Alexander Cade, shérif adjoint. Puis il quitta brusquement la pièce. Corbett profita de ce que Cade achevait la lettre pour l’étudier. Sa réputation était parvenue jusqu’à lui : c’était un fin limier dont l’oeil perspicace repérait le moindre vaurien dans une taverne bondée et que les truands de Londres craignaient à juste titre. Pourtant, malgré sa corpulence, Cade arborait la tenue d’un godelureau de la Cour : tunique à bordure chatoyante, chemise de batiste, hautes bottes en cuir de Cordoue et petite calotte d’étoffe sur son épaisse chevelure noire. Son bouc était bien taillé, ce qui, avec son teint cireux et son regard languissant et affable, lui conférait l’aspect d’un homme qui appréciait les bons côtés de la vie plutôt que la poursuite impitoyable des coupe-bourses et des larrons. D’un geste, il invita Corbett et Ranulf à s’installer près de la fenêtre pendant qu’il finissait la lettre. Il se retourna alors avec un grand moulinet du bras.
— C’est l’affaire des prostituées assassinées qui vous amène ? Ou plutôt – soyons honnêtes – la mort de Lady Somerville et celle du père Benedict ?
Cade murmura un ordre à l’oreille de son clerc qui descendit de son siège et alla prendre, sur une étagère, une liasse de documents.
— Je vous remercie. Vous pouvez disposer, chuchota Cade.
Il attendit que le vieil homme refermât la porte pour s’emparer d’un tabouret et s’asseoir en face de Corbett.
— Il y a trois sujets qui me préoccupent, déclara-t-il : les meurtres des filles des rues, les morts de Lady Somerville et du père Benedict et l’arrivée à Londres de Puddlicott.
Corbett resta bouche bée.
— Oui, oui ! enchaîna Cade. Notre ami Richard Puddlicott, ce maître ès déguisements qui s’affuble d’une douzaine de faux noms et de masques les plus divers, est de retour dans notre bonne vieille capitale !
Cade écarquilla les yeux :
— Et cette fois, il ne m’échappera pas ! Je veux voir ce diable de filou chargé de chaînes !
— Comment savez-vous qu’il se trouve à Londres ?
— Lisez !
Cade lui tendit les documents.
— Lisez-les ! répéta-t-il. Prenez tout votre temps, Messire. Ou devrais-je dire Sir Hugh ?
Il sourit :
— Nous avons appris la nouvelle. Toutes mes félicitations ! Lady Maeve doit être au comble de la joie, n’est-ce pas ?
— En effet ! murmura Corbett.
Cade remplit deux gobelets de vin et les offrit à ses visiteurs.
— Je vous les laisse lire tranquillement. Ensuite, nous pourrons en discuter.
Il s’éloigna d’un pas léger. Ranulf regarda par la fenêtre une file de prisonniers qu’on amenait dans la cour tandis que Corbett parcourait les documents. Les deux premiers étaient des missives adressées aux shérifs de Londres, les informant de la colère éprouvée par le souverain devant les nombreux crimes sanglants perpétrés dans la capitale, et, en particulier, devant la mort atroce de Lady Somerville et les circonstances mystérieuses entourant l’incendie dans lequel avait péri le père Benedict. Le document suivant était un rapport, rédigé apparemment par Cade lui-même, où figuraient la liste des victimes et la date de leur disparition. Corbett siffla entre ses dents. Seize en tout, sans compte Lady Somerville. Tous les meurtres avaient eu lieu sur le territoire de la capitale, aussi loin que Grays Inn à l’ouest, Portsoken à l’est, Whitecross Street au nord et Ropery au sud, près de la Tamise. Corbett nota aussi que les meurtres avaient commencé dix-huit mois plus tôt et qu’ils s’étaient produits à intervalles réguliers, une fois par mois, le 13 du mois. Les seules exceptions étaient Lady Somerville – tuée le 11 mai – et la dernière victime, la prostituée trouvée dans l’église près de Greyfriars, égorgée quelques jours auparavant. Les catins étaient généralement massacrées dans leur chambre, mais trois, y compris la dernière, avaient trouvé la mort ailleurs. Toutes avaient connu la même fin horrible : la gorge tranchée d’une oreille à l’autre et les organes génitaux mutilés et découpés au couteau. Là encore, la seule
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