Faux frère
exception était Lady Somerville qui, à Smithfield, avait été frappée d’un coup rapide à la gorge, sans qu’il y eût d’autres marques de violence, avait ajouté Cade. Les robes des filles étaient toujours rajustées bien soigneusement. Corbett fixa un moment le rapport avant de lever les yeux.
— Une mort par mois, murmura-t-il. Le 13.
— Vous dites, Messire ?
— Les prostituées ont toutes été tuées à peu près à la même date. Elles ont toutes eu la gorge tranchée et les parties génitales mutilées.
Ranulf claqua grossièrement des lèvres.
— Votre avis, Messire ?
— D’abord il pourrait s’agir d’un dément qui aime tuer les femmes, et plus spécialement les putains, ou de quelqu’un qui recherche une catin bien précise, ou encore...
— Ou encore... ?
— De quelqu’un qui s’adonne à la magie noire. Les sorciers ont toujours aimé le sang.
Ranulf détourna les yeux en frissonnant. De la fenêtre, il discernait la silhouette impressionnante de St Mary-le-Bow, où Corbett avait combattu et défait une secte satanique dirigée par la belle criminelle Alice-atte-Bowe.
— Je n’en ai aucune idée ! chuchota Corbett qui entreprit de lire le compte rendu du décès du père Benedict.
C’était un rapport laconique rédigé par le clerc du coroner : dans la nuit du 12 mai, les moines de Westminster avaient été réveillés par le rugissement d’un brasier et s’étaient rués à l’extérieur. La maison du père Benedict, située à l’écart, dans l’enclos de l’abbaye, était la proie des flammes. Sous la direction de William Senche, intendant du palais voisin, ils avaient tenté d’éteindre le feu avec l’eau du puits, mais sans succès. Le bâtiment n’était plus qu’une carcasse vide où ils avaient trouvé le corps à demi calciné du père Benedict, recroquevillé près de la porte, la clé à la main, et à ses côtés les restes de son chat.
On ne put déterminer les causes de l’incendie. La haute fenêtre à battants était ouverte. Une légère brise devait avoir attisé les flammes nées, sans doute, d’une étincelle jaillie de la cheminée ou d’une bougie.
Corbett leva les yeux.
— Bizarre ! s’écria-t-il.
Ranulf regardait d’un oeil distrait les criminels qu’on enchaînait dans la cour. L’exclamation de Corbett le fit sursauter.
— Qu’y a-t-il, Messire ?
— La mort du père Benedict. Ce prêtre était un homme âgé, Ranulf, et avait sans doute le sommeil léger. Or le voilà qui se lève au beau milieu de la nuit, effrayé par l’incendie qui s’est mystérieusement déclaré. Il est trop vieux pour sortir par la fenêtre, alors il prend la clé, va jusqu’à la porte, mais ne l’ouvre pas. Fait encore plus étrange : son chat périt aussi ! Bon, un chien resterait, peut-être, aux côtés de son maître, mais un chat s’enfuirait par une fenêtre ouverte ! Or cette bête meurt également !
— Il aurait pu être asphyxié par la fumée, suggéra Ranulf.
— Non ! s’exclama Corbett. Je ne comprends pas comment on peut atteindre une porte, clé à la main, et ne pas faire le petit effort supplémentaire d’introduire la clé dans la serrure et de la tourner. Pourtant, c’est le chat qui m’intrigue le plus. Ceux que je connais me font penser à toi, Ranulf. Ils ont un remarquable instinct de survie et une sainte horreur du feu.
Ranulf détourna le regard et fit la grimace. Corbett revint sur ses pas et étudia les notes gribouillées par Cade au bas du rapport. Juste avant sa mort, le père Benedict avait envoyé une courte lettre au shérif, l’informant qu’un sacrilège horrible allait être commis, mais il n’avait donné aucun autre détail. Corbett hocha la tête, puis lut le dernier parchemin, un minuscule bout de papier graisseux : la brève note d’un mouchard du gouvernement. On avait aperçu le faux-monnayeur Richard Puddlicott dans Bride Lane près de l’auberge à l’enseigne de L’Évêque de Salisbury. Corbett se tapota le genou avec le parchemin et contempla la jonchée sale. Que de mystères ! Mais c’était ce Puddlicott qui l’intriguait le plus. Les coursiers du roi avaient traqué cette fripouille dans toute l’Europe, que faisait-il donc en Angleterre ? Sa présence avait-elle un lien avec ces morts ? Ou poursuivait-il d’autres buts, aussi néfastes ? Pour son compte ou pour celui d’Amaury de Craon ?
Corbett, perdu dans ses pensées, sirotait
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