Faux frère

été délibérément détruit et la salle elle-même est protégée par les murs les plus épais qu’il m’ait été donné de voir.
    — Et Maître Puddlicott ?
    — Tout ce que je peux dire, répondit Cade, c’est qu’on a aperçu le misérable à Londres, et encore, cela est un témoignage de seconde main.
    — Il doit être ici pour des motifs peu recommandables.
    Cade eut un petit rire sec :
    — Bien sûr, mais lesquels ?
    Corbett donna un coup de coude à un Ranulf ensommeillé.
    — Écoutez, Messire, savez-vous que l’envoyé du roi de France, Amaury de Craon, et son compagnon, Raoul de Nevers, sont à Londres ? Le prétexte officiel est qu’il apporte des messages de paix à notre souverain de la part du roi Philippe. Ce n’est pas la vraie raison de leur présence ici.
    — Prétendez-vous qu’ils soient en relation avec Puddlicott ?
    — C’est possible. On a vu ce dernier en compagnie de Guillaume de Nogaret, le garde du Sceau de Philippe IV.
    Cade se versa un gobelet de vin qu’il coupa d’une généreuse rasade d’eau.
    — Oh oui ! reprit-il. Nous sommes au courant de la présence de De Craon à Londres. Il a assisté à une réception organisée par la ville et présenté ses lettres de créance au lord-maire. Nous surveillons discrètement sa résidence de Gracechurch Street, mais cela commence à nous ennuyer. I] n’a rien fait de suspect et s’intéresse plus aux bateaux sur la Tamise qu’à autre chose. Et comme nous ne sommes pas en guerre avec la France, il ne commet là aucun délit.
    Corbett se leva en s’étirant.
    — Bien ! soupira-t-il. Par où commençons-nous ?
    Le shérif adjoint eut un geste hésitant :
    — Comme l’a dit mon maître, je suis à vos ordres.
    — Alors, suivons les préceptes de Maître Cicéron : « Et respice corpus ! »
    — Je vous demande pardon ?
    — Voyons le corps !
    Corbett prit sa cape.
    — Puis-je emprunter la liste des femmes assassinées ?
    Cade la lui tendit.
    — La dernière victime est-elle déjà enterrée ?
    — Non, elle se trouve au dépositaire {14} de St Laurent-de-la-Juiverie.
    Cade vida son gobelet et attacha son baudrier.
    — Si vous voulez l’examiner, vous devez vous hâter. Le prêtre veut l’enterrer près des autres ce matin même.
    — Comment cela, près des autres ? bredouilla Ranulf.
    — Oui, expliqua Cade. Les prostituées décédées reposent d’abord dans un petit bâtiment du Guildhall, puis sont transportées dans une charrette jusqu’à St Laurent-de-la-Juiverie où le prêtre procède à leur inhumation. Il reçoit un shilling chaque fois, si je me souviens bien.
    — Et c’est donc là, insista Ranulf, qu’elles ont toutes été enterrées, à l’exception de Lady Somerville ?
    — En effet. Mais pour un shilling, elles n’ont pas grand-chose : un linceul de toile élimée, une fosse peu profonde et une prière à l’office de prime.
    — Personne ne vient jamais réclamer les corps ?
    — Bien sûr que non ! Certaines de ces pauvres filles viennent d’Écosse, d’Irlande, de Flandre, de villes et villages aussi éloignés que ceux de la Cornouailles à l’ouest et Berwick-on-Tweed au nord.
    — Et personne ne suit leur enterrement ?
    — Non ! Nous y avons pensé et nous nous sommes tenus aux aguets.
    Cade frissonna.
    — On les enterre comme des chiens ! reconnut-il à voix basse. Même leurs clients habituels ne se dérangent pas pour leur dire un dernier adieu.
    Corbett finit son vin et rendit le gobelet à son interlocuteur.
    — Je ne veux pas vous faire rougir, Messire, mais je ne vous cacherai pas que le roi vous tient en très haute estime.
    Cade, gêné, racla le sol de ses lourdes bottes.
    — Mais, enchaîna Corbett en refermant le piège, n’est-il pas curieux que vous n’ayez pas dressé une liste des clients de ces filles ? Quels étaient les individus qui avaient commerce avec elles ? Vos mouchards sont capables de vous renseigner sur la venue d’un petit truand comme Puddlicott, mais pas sur les clients des prostituées assassinées ?
    Le sourire de Cade s’effaça :
    — Écoutez !
    Il s’assit sur un tabouret et énuméra les différents points sur ses doigts boudinés :
    — D’abord, quelques-unes étaient des courtisanes de haut rang. Oh oui, je sais ! Elles meurent dans la misère, mais, de leur vivant, elles sont entretenues par certains des hommes les plus riches et influents de la