Faux frère
chaut ! Ils sont convoqués sur ordre du roi : soit ils obtempèrent, soit ils passent quinze jours à la prison de la Fleet, tout prêtre, moine ou bedeau qu’ils soient !
Un large sourire aux lèvres, Ranulf décampa dans sa chambre. Il fit une toilette minutieuse, se changea et se repeigna soigneusement devant son miroir en métal poli. « Jusqu’ici ça marche ! » murmura-t-il. Il ne pouvait oublier Lady Neville : elle s’était montrée si charmante lorsqu’un peu plus tôt il lui avait rendu une visite de courtoisie au nom de son maître ! Bien sûr, il lui avait assuré qu’il était envoyé par Corbett. Il espérait seulement que ce dernier n’allait pas pousser trop avant son interrogatoire. Même avec son habit sombre, Lady Neville lui était apparue comme l’incarnation de la beauté. Assise en face de lui dans une petite pièce, elle lui avait servi une coupe de vin frais d’Alsace et offert de la pâte d’amandes sur un plateau d’argent. Ranulf s’était fait passer pour le fils d’un chevalier qui avait eu des revers de fortune. Il lui avait confié que, bien placé à la Chancellerie à présent, il gagnait de bons émoluments et se mettait entièrement à son service. Lady Mary avait papillonné des cils et il était revenu à Bread Street, le pas léger, tel Galahad regagnant Camelot, le palais du roi Arthur.
À présent, Ranulf plaquait sur son crâne sa tignasse humide et aspergeait généreusement son pourpoint d’eau de rose. Cela fait, il descendit lourdement à l’étage inférieur pour aller embrasser son rejeton avant de pousser dans la rue un Maltote récalcitrant et de rejoindre la taverne où les attendaient leurs chevaux.
Corbett partit une heure plus tard, toujours de méchante humeur. Maeve ne se souciait que de la visite de son oncle et le clerc frottait encore son coude endolori par bébé Ranulf, qui, dans une brève bataille pour rire dans la cuisine, lui avait balancé son épée de bois sur le bras.
— Jour funeste que celui où un homme ne peut trouver la paix dans son propre foyer, grommela-t-il.
Toujours maugréant, il s’emmitoufla dans sa cape et traversa les rues plongées dans l’obscurité du quartier de Trinity pour enfin parvenir dans Old Fish Street et Vintry. Là, il s’engouffra dans la chaleur accueillante de la taverne des Trois Grues. Il s’installa dans un recoin sombre près de la grande cheminée. Moins d’une heure plus tard, il vit arriver Ranulf et Maltote, suivis de trois personnages fort mécontents : l’intendant William Senche était à moitié ivre tandis qu’Adam of Warfield et frère Richard, le visage écarlate, ne décoléraient pas d’avoir été arrachés, sans cérémonie, à leur repas. Corbett leur fit bon accueil et commanda des chopes de bière coupée d’eau : à en juger par son teint couperosé, ses yeux larmoyants et son nez enluminé, l’intendant serait retombé dans une profonde torpeur s’il avait dû ingurgiter encore du vin. Le sacristain semblait être le seul des trois à avoir l’esprit clair.
— On nous a convoqués, protesta-t-il en resserrant son habit noir, sans rime ni raison !
Corbett grimaça :
— C’est le roi qui vous a convoqués par ma voix. Adressez-lui donc vos objections, si vous en avez !
— Que voulez-vous ?
— Des réponses directes à des questions directes !
— J’ai déjà répondu à vos questions.
— Que se passe-t-il à l’abbaye et au palais de Westminster ?
— Que voulez-vous dire ?
Corbett sortit de son escarcelle le dessin de Lady Somerville et le jeta au sacristain tout en poussant vers lui la grosse chandelle de suif pour lui permettre de mieux voir.
— Qu’en dites-vous, Adam of Warfield ?
Le sacristain examina la caricature.
— Un bien mauvais croquis ! décréta-t-il sèchement.
Corbett s’aperçut qu’en fait il fanfaronnait pour masquer sa peur. Frère Richard se pencha et, les paupières rougies, étudia également le parchemin.
— Scandaleux ! marmonna-t-il. Celui qui a gribouillé ça offense l’Église !
— C’est Lady Somerville qui l’a dessiné, lâcha Corbett. Un des membres les plus éminents des Dames de sainte Marthe. Elle travaillait au vestiaire et à la buanderie de l’abbaye. Qu’a-t-elle donc découvert, cette veuve à la réputation irréprochable, cette grande dame notoirement pieuse ? Qu’a-t-elle vu pour avoir esquissé une caricature aussi cruelle de soi-disant hommes de
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