Faux frère
le cloître de l’abbaye. Leur cupidité les amena à remarquer la belle argenterie que les serviteurs apportaient au réfectoire et remportaient aux cuisines.
Le scribe rit doucement.
— Il leur vint à l’idée de s’approprier ces plats. Une nuit, ils posèrent une échelle contre le mur du réfectoire et s’emparèrent d’un riche butin qu’ils vendirent.
— Et personne ne s’aperçut de sa disparition ?
— Oh, répondit le scribe avec un sourire crispé, c’est l’histoire habituelle : un vieil abbé malade et pas de prieur...
Il croisa le regard de Corbett.
— Oui, Sir Hugh, j’y ai pensé également. Je me demande dans quelle mesure on n’a pas aidé le prieur à quitter cette vallée de larmes. Bon, venons-en à présent à Adam of Warfield. Lui nota la disparition de cette argenterie. Il eut vent, aussi, des orgies que Senche organisait au palais et exigea d’y participer sous peine d’aller immédiatement en souffler mot au roi. Messire Senche et Puddlicott tombèrent d’accord. Ils cédèrent à Warfield un tiers des gains. Puis ils mirent sur pied un plan d’une rare ingéniosité pour dérober le Trésor royal.
Le scribe feuilleta ses liasses de parchemin.
— Un stratagème fort bien agencé. Il y a seize mois, Adam of Warfield déclara que le cimetière ne faisait plus partie de l’enceinte sacrée. Ils semèrent à profusion du chanvre qui pousse rapidement et Puddlicott commença à creuser le tunnel. Il y a dix jours environ, il perça le mur de la crypte. L’argenterie ne l’intéressait pas, ce fut notre bon sacristain qui la vendit.
Le scribe prit un air entendu.
— À mon avis, Sir Hugh, certains orfèvres londoniens savent fort bien qu’ils ont acquis les produits d’un vol.
Il s’arrêta et Corbett, n’en revenant pas, siffla entre ses dents.
— Et quand Puddlicott creusait-il son tunnel ?
— La nuit, d’après Warfield, et même pendant le jour, vu que le cimetière était désert.
Corbett porta la main à sa bouche.
— Seigneur Dieu ! murmura-t-il.
— Qu’y a-t-il, Sir Hugh ? s’inquiéta Limmer.
Corbett ne répondit pas. Comment avouer qu’il avait probablement rencontré Puddlicott lors de sa première visite à l’abbaye ? Il se rappelait le vieux jardinier qui, vêtu d’un capuchon, lui tournait le dos. Un jardinier ? Certes non, se dit-il amèrement, mais plutôt Messire Puddlicott habilement déguisé.
— Et ensuite ? s’enquit-il d’une voix dure. Ont-ils donné plus de précisions ?
— Non, ce larron était expert dans l’art de tirer les ficelles. C’était toujours lui qui prenait contact avec eux et il ne leur confiait jamais où il logeait. Il arrivait tard ou bien très tôt et disparaissait sans un traître mot à qui que ce fût. Parfois, il leur rendait régulièrement visite, d’autres fois il était absent pendant des semaines.
— Qu’en est-il de l’or et de l’argent volés ?
— Ils recevaient leur dû, mais il va de soi que Puddlicott s’attribuait la part du lion.
— Et les crimes ?
— Ah !
Le scribe se gratta la tête.
— Ils nient toute responsabilité dans la mort de quiconque, que ce soit celle de Lady Somerville, du père Benedict ou des prostituées.
Il prit une plume posée derrière son oreille et tapota le parchemin.
— Cela dit, ajouta-t-il avec espoir, Warfield est un criminel. Il n’est pas plus homme de Dieu que ne le sont les animaux de la ménagerie royale. J’ai assisté à maints interrogatoires dans ma vie...
Corbett croisa son regard, dur comme la pierre, et n’eut aucune peine à le croire.
— ... j’ai assisté à maints interrogatoires identiques, répéta le scribe fermement, et puis vous affirmer que Warfield est un assassin, ayant déjà commis un meurtre.
Je suis convaincu qu’il a la mort du prieur sur la conscience. Vous n’êtes pas né de la dernière pluie, Sir Hugh : « Qui a tué, tuera à nouveau. »
Le scribe enroula son parchemin et conclut d’une voix égale :
— Je ne peux rien vous dire de plus.
Il eut un sourire contraint.
— Bien sûr, nous n’en avons pas fini avec frère Adam.
Corbett le remercia et la silhouette courtaude s’en retourna à sa tâche en se dandinant.
— Quels sont vos ordres, Messire ? s’enquit Limmer.
— Je le répète : remettez frère Richard aux tribunaux ecclésiastiques et soumettez Warfield à la question. Que l’on porte des messages aux shérifs et aux
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