FBI
publique, il a évoqué la montée de la tension entre les deux pays. Il a indiqué que les dirigeants soviétiques traitaient Mao Zedong de « nationaliste », d’« aventurier » et de « déviationniste ». Après s’être entretenu avec Mao en tête-à-tête, il a annoncé que les Chinois se préparaient au conflit. Il a pronostiqué la fin de l’aide soviétique à la Chine en juillet 1960. Il a prédit la rupture définitive, survenue après un violent affrontement verbal à propos du repli de Khrouchtchev, lors de la crise des missiles de Cuba, la Chine dénonçant la « capitulation » de Moscou qui, à son tour, a accusé Mao de rechercher une guerre nucléaire. La rupture a été consommée quand l’URSS a appuyé l’Inde lors de la brève guerre qui l’a opposée à la Chine pour le contrôle de territoires himalayens. Grâce à Childs, les Américains savent que les Chinois les accueilleront à bras ouverts.
Après le rapprochement entre Washington et Pékin, les Soviétiques ripostent en organisant leur propre sommet avec Nixon, qui jette les bases d’un traité sur la limitation des armes nucléaires (SALT I et II) et accélérer la fin de la guerre du Vietnam. Lors de ces négociations avec les Soviétiques, grâce à Morris Childs, les Américains ont toujours un coup d’avance. Dans le cadre des SALT, ils savent jusqu’où ils peuvent aller. Les informations recueillies à Moscou et dans diverses capitales des pays de l’Est par les deux frères confèrent un sérieux avantage à la délégation américaine lors des négociations de Paris marquant la fin de la guerre du Vietnam.
Le FBI déploie un luxe de précautions pour protéger la vie des deux vieux agents. De santé fragile, tous deux malades du cœur, ils sont alors les meilleurs atouts de la politique étrangère des États-Unis. Un Agent spécial armé porte régulièrement leurs rapports à la Maison-Blanche. Le président Nixon a le droit de les lire, mais pas de les conserver. Henry Kissinger y a lui aussi accès. Il n’apprendra la véritable identité des protagonistes de l’opération « Solo » que des années plus tard, après avoir été nommé secrétaire d’État du président Ford, le successeur de Nixon. « Ce que vous faites est fabuleux, dira Kissinger au FBI ; vous avez ouvert une fenêtre sur le Kremlin et sur l’âme des hommes du Kremlin. C’est sans précédent dans l’histoire moderne. »
À Moscou, Morris Childs vit dans un état d’inquiétude permanent. Il a l’impression d’être en prison. Certes, il fait partie du club des puissants du monde communiste. Il est reçu à la table des chefs d’État du Pacte de Varsovie, qui le traitent en ami. Il dispose d’un luxueux appartement. S’il préfère descendre dans un palace, il a droit aux suites réservées aux hommes d’État étrangers en visite officielle. Une limousine est à sa disposition pour le conduire chez les membres du Politburo ou au Kremlin. Mais, le soir, il s’endort sans savoir de quoi le lendemain sera fait. Il passe en revue le détail de sa journée, toujours à l’affût du moindre signe avant-coureur de sa chute.
Les deux frères Childs vivent dans la terreur d’être démasqués par les Soviétiques. Ils savent que le KGB ne leur fera pas de cadeau et qu’ils risquent leur vie à chaque instant. Leur plus vive inquiétude ne vient pas de Moscou, mais de Washington. Ils redoutent avant tout une maladresse, voire une trahison, de la part du Bureau. Leurs appréhensions ne font qu’augmenter quand, à l’occasion du scandale du Watergate, ils assistent, comme des millions d’Américains, au grand déballage médiatique des opérations secrètes conduites par la Maison-Blanche, la CIA et le FBI. Le fait que l’enquête du FBI sur les cambrioleurs du Watergate se trouve étalée dans les colonnes du Washington Post leur fait craindre le pire.
Le 31 mai 1973, quelques jours avant le voyage officiel de Brejnev aux États-Unis, le Bureau convoque les frères Childs à New York. La réunion est présidée par Ed Miller, responsable du contre-espionnage du Bureau, qui parvient à les rassurer. Ils l’auraient été un peu moins s’ils avaient su qu’Ed Miller était le bras droit de Mark Felt, la « Gorge Profonde » qui livrait tous les secrets du Watergate au Washington Post . Ed Miller a raison quand il affirme que l’opération « Solo » fut un des secrets les mieux protégés du Bureau. Mais
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