Fidel Castro une vie
L’Union soviétique avait-elle « trempé dans l’affaire, sans doute destinée à donner la réalité du pouvoir à un homme plus souple » que Fidel, comme l’écrit André Fontaine dans son
Histoire de la guerre froide
? L’ambassadeur Koudriavtsev lui-même est invité à prendre l’avion pour Moscou. Nul n’ira le saluer à l’aéroport !
Le 2 décembre 1961, Fidel avait assuré que les ORI avaient enfin fait disparaître « les manifestations de sectarisme ». Il ajoutait, patelin : « Pour les questions d’organisation, un jour, je pense qu’Anibal sera invité ici, afin de parler de tout. » Moins de quatre mois plus tard, Anibal Escalante est lourdement « chargé » par le
Lider
. Il a essayé « de créer un instrument pour ses buts personnels ». Il était en train de créer « non pas un parti mais un joug, une camisole de force ». Les ORI se mêlaient de tout, nommant et démettant à tous les postes. « Si une chatte faisait des petits, il fallait en référer aux ORI. » L’une des conséquences était une affreuse « atmosphère de coterie ». « Peut-on imaginer pareille ordure ! », s’indigne Fidel.
Certes, poursuit-il, tout cela était voué à l’échec car « notre pays n’est pas enclin à… la domestication ». Fut-ce une question de commandement ? « Non, camarades, si cela était, nous ne parlerions pas ici. Pour nous, vraiment, ces questions de commandement et de gouvernement sont si futiles qu’elles ne valent pas une heure de notre souci. Le gouvernement, le pouvoir en soi ne nous intéressent pas. » Une précision, pourtant : « Nous n’avons pas non plus gagné le pouvoir à la loterie ! Ce fut le résultat de circonstances historiques… Les uns ont reçu certaines missions, les autres d’autres. Quant à nous, nous avons peut-être reçu le lot le plus difficile. »
Et Fidel de persister dans la justification car les partisans d’Escalante ont bel et bien discuté de la nécessité de contenir, par le biais du futur parti, le « pouvoir personnel » – d’évidence celui de Castro. « Au parti, admet le
Lider
, on a discuté du culte de la personnalité. » « Beaucoup pensaient que ces problèmes [nous] concernaient. Ils se demandaient si nous étions enclins au culte de la personnalité. » Or, « jamais idée pareille ne nous a effleuré ». (Voici pourtant un long développement pour un problème inexistant !) En tout cas, la question a été posée. Ellel’a même été d’une façon « excessive, qui a contribué à la destruction du prestige de révolutionnaires ». Or, se dévoile Fidel, « il n’est pas bon de détruire le prestige des dirigeants ». Fidel reviendra sur le thème : certains « bobards » désobligeants pour les frères Castro, dira-t-il, ont été mis en circulation par Escalante et ses amis.
Le propre parti d’Escalante ne suit pas son champion. Son frère César lui-même, dirigeant du PSP, le laisse tomber. Carlos Rafael Rodríguez est allé charger son camarade auprès du
Lider
– celui-ci ne manquera pas de le rappeler ! Fidel en profitera pour accuser le vaincu de tous les maux du pays : « désorganisation de la production », « difficultés de ravitaillement » et « cette ribambelle d’actes arbitraires, d’exactions, de despotisme ».
Fin 1961, Fidel avait associé au processus politique en cours « une certaine peur » dans le public lorsqu’il était fait état des « organes de sécurité ». Cette fois, il ne va pas si loin. Il ne s’attarde que sur le cas d’un certain Fidel Pompa,
gauleiter
des ORI pour un groupe de fermes en Oriente. Cet homme a mal parlé de plusieurs « anciens » de la Sierra. Or, raille le
Lider
, quand ces gens étaient au combat, « lui était fourré sous le lit ». Mais il nuance : « Est-ce que ça veut dire que quiconque n’a pas combattu s’est fourré sous un lit ? Non. Cet opportuniste-là, oui, s’est fourré sous un lit. »
Désormais, les choses intérieures iront un bon temps du train qu’aime Fidel. Les discussions ne manquent certes pas, à Cuba. Dans ces réunions à l’usine, à la ferme, qu’il affectionne, le chef peut être interpellé avec respect : il adore. Il écoute, il interroge aussi. Puis il répond, sur un mode mi-gouailleur et mi-sérieux. On peut penser que, dans les cercles du pouvoir, des opinions sont formulées, sur le ton un peu carré des anciens de la Sierra, ou celui, déférent, des jeunes promus. Mais on ne voit guère qui, hormis
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