Fidel Castro une vie
vedette, s’agissant d’un événement à portée planétaire ; mais aussi il a été soucieux de ne pas être accusé d’irresponsabilité dans une aventure qui aurait pu engager la Troisième Guerre mondiale, nucléaire.
En toute hypothèse, l’avant-garde des troupes soviétiques, trois mille cinq cents soldats et officiers, arrive début août : des spécialistes et conseillers. Puis débarquent des unités de combat, qui se dirigent vers la Sierra de Los Órganos, à cent cinquante kilomètres à l’ouest de La Havane… et à la même distance de la Floride. On estime qu’il y aura dans l’île jusqu’à quarante mille membres de l’Armée rouge. Leur mission est de défendre ce
quart
du potentiel nucléaire soviétique, à l’époque, qui doit être installé à dix mille kilomètres de la patrie. On saura, plus tard, que les têtes nucléaires, cependant, voyageaient à bord de quatre sous-marins soviétiques.
Le premier acte des soldats de « Monsieur K. » aura été d’ériger des batteries (vingt-quatre) de missiles antiaériens Sam-II. Puis va commencer la construction des rampes de lancement. Une cinquantaine de bombardiers à capacité d’emport nucléaire Iliouchine-18, arrivés par bateaux en caisses, sont vite rendus opérationnels. Castro use d’une méthode qui lui a souvent réussi : crier très fort qu’on l’égorge lorsqu’il prépare un méchant coup. Il commence donc, dans l’été, à dénoncer les survols d’avion et les violations des eaux cubaines par les États-Unis : « Washington joue avec le feu. » Les premières fusées arrivent à Cuba le 8 septembre par les navires
Omsk
et
Poltava
. Le 2, un accord militaire entre les deux pays a été annoncé à Moscou, où le Che se trouve en compagnie du chef des milices, le capitaine Aragonés. Officiellement, en raison de « menaces des milieux agressifs impérialistes », La Havane a demandé à Moscou l’envoi « d’armements et de spécialistes pour entraîner les militaires cubains ».
Le 4 septembre, Robert Kennedy a rencontré l’ambassadeur soviétique à Washington. Le ministre de la Justice américain a fait part à Anatoli Dobrynine de l’inquiétude du président des États-Unis (son frère) concernant cette première pénétration militaire russe dans l’hémisphère occidental. Le diplomate lui a assuré qu’il n’était pas question d’installer « des armes offensives » – une hypothèse que, le même jour, John Kennedy a déclarée « intolérable ». Toutefois, l’agence de presse Tass se montre plus carrée : « Ne fourrez pas votre nez où il n’y a rien à faire. » L’organe officieux du Kremlin expose qu’il n’est nul besoin d’installer « des armes défensives en réplique » où que ce soit, car l’Union soviétique dispose sur son territoire de tout ce qui est nécessaire pour aider les États « épris de paix ». Cependant, la Maison Blanche demande, le 7 septembre, et obtient du Sénat, unanime, l’autorisation de rappeler cent cinquante mille réservistes – autant que lors de la crise de Berlin, en août 1961. On est, il est vrai, en pleine campagne de « mi-mandat », et les démocrates ne peuvent apparaître indécis.
Cependant, à Cuba, les travaux se poursuivent frénétiquement dans les savanes montueuses et semées de palmiers de la province de Pinar, à cent kilomètres à l’ouest de La Havane. Les conditions météorologiques de l’automne font que c’est le14 octobre seulement qu’un avion espion américain U-2 rapportera les photos prouvant l’installation de trente-neuf fusées à moyenne portée MRBM et IRBM sur cinq bases : San Cristóbal, Candelaria, Guanajay, Sague la Grande et Remedios. Ces engins peuvent battre tout le territoire des États-Unis à l’exception de l’extrême Nord-Ouest.
La séquence des événements reste fixée dans les esprits tant, durant les « treize journées » fiévreuses d’octobre 1962 (du 16 au 28 inclus), l’impression a été prégnante que le monde courait à la catastrophe thermonucléaire. Les télévisions ont montré un John Kennedy au visage dur, les dents serrées qui lui font une mâchoire carrée – icône même de la détermination. À mille lieues de l’homme « indécis, mal informé et peu impressionnant » qu’avait cru voir Khrouchtchev lors de leur rencontre, en juin de l’année précédente, à Vienne. On a su, bien plus tard, qu’en fait Kennedy avait résisté, le 16 octobre lors
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