Fidel Castro une vie
cadres, le M-26 « ne pouvait pas [les] apporter », lui qui est surtout riche de « jeunes enthousiastes révolutionnaires » (et dont, aurait-il pu ajouter, les sympathisants les plus qualifiés ont quitté le pays).
Après quatre heures, Castro en vient, au propos qu’il va esquisser : quel parti ? Un débat très codé est en cours dans les cercles du pouvoir : parti de masse ? (C’est la thèse des communistes.) Ou parti d’élite ? Castro tranche, ce jour là, pour la seconde formule. Or, son modèle, on le verra plus tard, c’est bel et bien un encadrement de toute la population par les « organisations de masse » (CDR, Fédération des Femmes, Jeunesses communistes, « Pionniers » récemment créés pour les six à quatorze ans, syndicats, etc.).
Les « vieux militants » du PSP ne seront pas nécessairement les cadres du Parti communiste de demain : le message est formulé de façon contournée, et aucun observateur extérieur ne le comprend ce soir-là. Dans le sérail, en revanche, on sait que la bataille pour le pouvoir est engagée. Et les communistes vont ferrailler dur pour qu’elle aboutisse à leur profit, tout d’abord en construisant un… parti d’élite – comme Fidel le dénoncera bientôt ! L’orateur concède, ce 2 décembre, que la direction révolutionnaire, jusque-là « personnelle », doit devenir « collective ». « Ni César, ni tribun, surtout pas de César », s’écrie-t-il. Enfin, un aveu : « Je ne me suis jamais considéré comme infaillible. »
Tant d’humilité interpelle. Castro voulait-il prouver quelque chose ? Et quoi ? Qu’il n’est pas un
caudillo
en puissance ? Et à qui ? Au PSP ? À Moscou ? Ou bien est-il en difficulté ? Sur ce point, les langues sont restées scellées à La Havane. L’année, pourtant, n’allait pas s’achever sans que naisse un des slogans les plus « personnalistes » de la Révolution : « Commandant en chef, ordonne ! », lance pour la première fois, le 22 décembre, pour la clôture de « l’année de l’éducation », le petit frère Raúl. Comment ne pas songer au tragique « Nous voulons des chaînes », scandé par une partie du peuple espagnol, « orphelin » du roi Ferdinand VII ?
Cependant, la face de l’Amérique change après la baie des Cochons. Fouettés par cet échec, les États-Unis confirment, le 17 août 1961, en pleine crise de l’érection du mur de Berlin, un élément clé du programme de Kennedy : « l’Alliance pour le progrès ». Vingt milliards de dollars seront mis, sur dix ans, à la disposition des Républiques au sud du Rio Grande en vue de hâter leur développement. L’idée lancée par Castro à Buenos Aires, dans le scepticisme général, en avril 1959, a cheminé !
Car la compétition pour le leadership du sous-continent s’amplifie entre les États-Unis et l’île caraïbe en 1961. Le 1 er mai, Radio Havane – un des émetteurs les plus puissants du monde avec Radio Vatican, Radio Moscou et la Voix de l’Amérique – a commencé à émettre en direction du Sud.
Prensa Latina
, l’agence cubaine de presse, s’est structurée. Fin mai, Fidel annonce la distribution de bourses à des étudiantslatino-américains. Lors d’un congrès, le 9 juin, il s’écrie à leur adresse : « Beaucoup d’entre vous participeront à des mouvements révolutionnaires dans votre pays. S’il n’en était pas ainsi, ce n’était guère la peine de venir ici. » Non sans humour, Régis Debray a narré, dans
Loués soient nos seigneurs
, l’entraînement que, quatre années plus tard, il a suivi à Punto Cero, le « prytanée » guérillero à une trentaine de kilomètres à l’est de La Havane. Fidel lui-même venait parfois compléter l’enseignement de Manuel Piñeiro « Barberousse », alors chef du Renseignement et de la Sécurité au ministère de l’Intérieur. « Trois hommes peuvent commencer une guerre », soufflait Castro.
Kennedy, lui, crée le
Peace Corps
, une organisation de jeunes volontaires en réplique à « l’internationalisme prolétarien » de Castro, en Amérique latine et ailleurs. La contrepartie militaire américaine de l’assistance cubaine à la guérilla (d’abord vénézuélienne, dès 1961) est la spécialisation du centre de Fort Bragg, en Caroline du Nord, où des unités US s’entraînent à la guerre « contre-insurrectionnelle ». Puis les « bérets verts » essaimeront à « l’École des Amériques », installée peu après dans la zone du
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