Fidel Castro une vie
canal de Panama. Kennedy ne renonce pas pour autant à nuire à la Révolution cubaine. Il accentue l’embargo : la dernière importation en provenance de l’île, les feuilles de tabac pour les cigares fabriqués à Tampa, en Floride, est interdite – une perte de 35 millions de dollars par an. La prohibition est étendue à toutes les marchandises insulaires ayant transité par un pays tiers. Le président américain lance, en outre, un « Plan Mangouste » visant à « miner de l’intérieur » le commandement en chef : hormis l’intervention militaire, tous les moyens sont jugés acceptables pour aider les concitoyens de Fidel à « renverser le régime communiste ». L’assassinat ? Ni prévu, ni exclu !
Et, surtout, les États-Unis poussent leurs alliés à adopter une attitude consonante. Avec les Européens de l’Ouest, l’échec rôde. En Amérique latine, ils ont plus de succès, aidés par leur « Alliance pour le progrès ». Douze pays sur dix-neuf ont rompu dans les trois premières années de la Révolution cubaine, dont quelques « moyens-grands », tels la Colombie, le Venezuela et le Pérou. Tous les « grands » (Brésil, Argentine, Mexique), en revanche, gardent des relations. Parmi ceux-là mêmes qui ont largué les amarres, plusieurs demeurent prudents, soit que desgauches locales influentes y appuient Fidel, soit que, dans les bourgeoisies, le sentiment anti-yankee équilibre la crainte du communisme. Mais d’autres, comme la Colombie, s’activent pour imposer des « mesures collectives » contre le castrisme.
La huitième conférence des ministres de l’OEA, réunie fin janvier 1962 à Punta del Este, en Uruguay, ne se conclut pas comme le voulait Washington. Tous s’accordent seulement à constater « l’incompatibilité » du marxisme avec « les principes et buts du système interaméricain », mais une majorité – exactement les deux tiers requis, quatorze pays sur vingt et un – écarte la participation du « gouvernement actuel » de l’île aux organismes de l’OEA. Encore apprendra-t-on qu’Haïti, d’abord hostile à cette sanction, n’a renversé son attitude que moyennant des promesses sonnantes. Outre le Mexique et le Brésil, champions de la résistance aux pressions des États-Unis, l’Argentine, le Chili, l’Équateur et la Bolivie se sont aussi abstenus. Seules Buenos Aires et Quito rompront dans la foulée de Punta del Este.
Conclusion du président cubain Dorticós : « L’OEA est devenu un bloc aux ordres des États-Unis. » Leur « ministère des Colonies », dira-t-on bientôt. Castro réplique, plus durement encore, le 4 février, qu’il ne l’avait fait, l’été 1960, après la conférence de San José. Une « seconde déclaration de La Havane » est approuvée par une « seconde assemblée nationale du peuple cubain », forte, ponctuellement, d’un « million de personnes ». (Les correspondants étrangers, censurés par les télégraphistes, parlaient de quatre cent mille participants, ce qui n’est certes pas si mal.) « Il n’y a pas, dit le texte, de force dans le monde capable d’empêcher le mouvement de libération des peuples. » Que « les paysans » prennent « l’initiative » qui leur revient dans cette lutte où, cependant, c’est à « la classe ouvrière » qu’appartient « le rôle dirigeant » – un balancement qui doit beaucoup à la volonté de Fidel de ne pas s’aliéner Pékin tout en privilégiant ses liens avec Moscou. Et de lancer ce slogan, qui sera tant repris : « Le devoir de tout révolutionnaire est de faire la révolution. » Fidel explicite : « Ce n’est pas faire preuve d’esprit révolutionnaire que de demeurer assis sur le pas de sa porte en attendant de voir passer le cadavre de l’impérialisme. » Il appelle « l’actuelle » génération de Latino-Américains à « prendre les armes ».
1962 a été proclamée à Cuba « année de la planification ». L’économie a bien besoin, en effet, d’un ordonnancement. Guevara dénonce « le sabotage, le travail médiocre, l’indolence, l’utilisation anarchique de la main-d’œuvre ». L’absentéisme devient un fléau. La toute-puissance des « petits chefs » sévit dans les campagnes. Cuba, en 1962, manque de fruits, de café, de viande, d’huile. En réponse à un renforcement du blocus décidé fin février par Kennedy, Fidel, le 12 mars, annonce l’instauration d’un rationnement généralisé : ce sera, pour chaque Cubain, la
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