Fidel Castro une vie
fameuse
libreta,
encore en vigueur cinquante ans plus tard. Mais les produits qui y sont promis à chacun ne pourront pas toujours être délivrés. Ainsi les chaussures font souvent défaut, et même… le tabac. Les explications par les trames américaines ou les éléments naturels (la sécheresse) ne convainquent pas toujours tout le monde. Et la police doit réprimer quelques manifestations, alors que le régime s’est toujours flatté de ne jamais « charger » le peuple.
Le 4 février, un Conseil des ministres a décidé de décapiter l’Inra, cœur de la politique économique. Or, le président dudit Institut de la réforme agraire n’est autre que Castro. À la place du
Lider
est nommé Carlos Rafael Rodríguez, communiste de vieille date et esprit pragmatique. Il partage ainsi avec Guevara, ministre de l’Industrie, la responsabilité de l’économie. La première proposition du nouveau « tsar de l’agriculture » sera de relancer la production de sucre. La mesure, ratifiée par Castro en 1963, fera sentir ses effets en 1965. En attendant, la
zafra
1962-1963 sera catastrophique.
Cependant, les apparitions publiques du
Lider
vont se raréfiant. Il disparaît trois semaines en février 1962. On ne le revoit que le 25, au stade de la capitale. Entre deux matches de base-ball, avec deux des meilleurs lanceurs de l’île, Fidel fait une démonstration de
batter
devant vingt mille spectateurs ravis. Il est très populaire. Mais pourquoi, au fait, doit-il en apporter ainsi la preuve ? Une dépêche de l’AFP mandée de La Havane met en alerte : « Le futur parti unique marxiste-léniniste cubain serait dirigé par un Comité central de quatorze membres… Les communistes de la vieille garde formeraient le groupe le plus nombreux du futur Politburo. » Un mois plus tard, de même origine, on peut lire que Castro est « en tête de la listedes directeurs des ORI ». Fidel « directeur » ! Lui, le commandant en chef !
Il pique une sacrée colère sur les marches de l’université où a lieu, le 13 mars, la commémoration de l’attaque par le Directoire du palais de Batista en 1957. « On » a suggéré au jeune homme chargé de relire le testament du catholique José Antonio Echeverría, héros et martyr de ce haut fait, d’omettre la référence à « Dieu » qu’il contient. « Sommes-nous si lâches et si sectaires ? Nous sentirons-nous contestés parce qu’il croyait en Dieu ? Quelle est cette conception de l’Histoire ? » Pris de court au début par l’ampleur du noyautage opéré par le numéro 2 du PSP, Anibal Escalante, le
Lider
, désormais en alerte, part à l’assaut. Le 23 mars, la composition de l’instance dirigeante des ORI est rendue publique : Escalante, normalement artisan numéro 1 de l’organisation en cours du parti unique, ne figure pas sur la liste ! Le lendemain, Raúl est nommé vice-Premier ministre – véritable doublure de Fidel. Et Celia, l’inséparable collaboratrice, devient secrétaire à la présidence. Escalante, quant à lui, a déjà fait ses bagages et embarque le 14 mars pour Prague…
L’affaire du « sectarisme » est rendue publique par Castro le 26 mars. Mais « sectarisme », qu’est-ce dire ? « Croire que les seuls révolutionnaires, les seuls hommes dignes de confiance, les seuls qui pouvaient remplir un poste dans une ferme du peuple, une coopérative, etc., devraient être des militants marxistes chevronnés. » Impliquant tout le monde (« nous sommes tombés dans le sectarisme »), Castro diminue la portée d’une crise (qui est déjà résolue, après tout) entre les composantes de la Révolution. Il ne doit pas la magnifier, en effet : dans un régime qui tire sa légitimité de la possession de la vérité, un tel échec serait une grave erreur. Et aussi Fidel ne peut pas se permettre, clouant au pilori un dirigeant communiste, de sembler mettre en accusation tout le PSP : Moscou, sans la protection de qui la Révolution se retrouverait nue, pourrait en prendre ombrage.
L’erreur la plus grave, si l’on suit bien Castro, a été de déléguer à Escalante la tâche de former le nouveau parti. Mais étrange erreur ! Car qui a désigné l’intéressé ? Nul ne le sait ! « Le camarade à qui a été accordée la confiance, on ne sait s’il l’avait méritée ou s’il se l’était auto-accordée. » Stupéfianteexplication ! Le PSP avait-il désigné celui des siens qu’il estimait le plus capable de noyauter le futur parti ?
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