Fidel Castro une vie
d’une réunion dramatique du Conseil de sécurité nationale, à l’état-major militaire unanime, et à la plupart de ses ministres, qui le pressaient d’ordonner le bombardement immédiat, coûte que coûte, des installations. Tout retenu qu’il se soit montré dans le maniement de cette crise, Kennedy était pourtant convaincu que les fusées ne pouvaient « à aucun prix » rester, du fait qu’elles rompaient « l’équilibre de la terreur nucléaire », version américaine, écorné par l’entrée en lice des missiles intercontinentaux soviétiques en 1957. Il n’y avait, en effet, qu’un court délai d’alerte (une demi-heure) entre le lancement d’une éventuelle bordée depuis le territoire soviétique et l’impact aux États-Unis. Au départ de Cuba, ce délai serait annulé car, échappant aux radars d’alerte avancée tournés vers le pôle Nord (route « normale » des missiles ennemis), les MRBM et IRBM permettraient une frappe « désarmante », annihilant la certitude des représailles, considérée comme la seule prévention d’une attaque nucléaire. Nul chef d’État américain ne peut l’accepter ; c’est l’erreur de Khrouchtchev.
Les jours qui suivent la révélation de la situation par l’U-2 espion se passent en conciliabules et préparatifs. Écartée, donc, l’invasion, diplomatiquement contre-productive, et même le bombardement des sites, risqué, Kennedy opte pour « le blocussélectif », rebaptisé « quarantaine défensive », terme jugé moins belliqueux. Il s’agit de contrôler, puis d’arrêter, tous les navires soupçonnés d’apporter des armes à Cuba. Vingt-quatre cargos soviétiques en route vers l’île sont visés. Des moyens navals sont prédisposés pour une interception à cinq cents milles à l’est. La formule a l’avantage de donner du temps aux parties pour calculer du mieux qu’il se peut leurs mouvements. Le 18 octobre, le ministre des Affaires étrangères, Andreï Gromyko, assure personnellement à Kennedy que « jamais » l’Union soviétique ne fournira d’armes « offensives » à Cuba ; dans ses mémoires, il écrira que la question ne lui avait pas été clairement posée… Kennedy, quant à lui, informe ses alliés : ceux de l’Otan en Europe – et de Gaulle, l’allié rétif, ne ménagera pas son appui –, ceux de l’OEA en Amérique, où la peur atomique ressoude l’Organisation, laquelle approuvera, à l’unanimité, le blocus.
De tout cela, Kennedy informe ses compatriotes dans un discours à la tonalité dramatique, diffusé par toutes les chaînes de radio et télévision le lundi 22 octobre à 19 heures. Il parle d’un acte « brutal et provocateur ». Il déclare qu’il considérera « tout lancement d’un engin nucléaire à partir de Cuba contre une nation quelconque du continent américain comme une attaque de l’Union soviétique contre les États-Unis ». Le président veut éviter que Moscou ne se retranche derrière son allié cubain, ce qui allongerait la crise, alors que le temps joue contre Washington vu le rythme d’installation des engins. Il est possible, aussi, estime Manuela Semidei, que Kennedy ait voulu, aux yeux de l’Amérique latine, faire passer Castro pour le « pion » de Moscou. C’est le début public de la crise. Il prend de court, semble-t-il, jusqu’aux Soviétiques, car le secret des conciliabules américains a été bien gardé. L’opinion américaine, ainsi mise au courant – à la différence de ce qui s’était passé lors de l’affaire de la baie des Cochons – fait bloc autour de son président : 84 % des citoyens l’approuvent.
Radio Havane dénonce « l’attitude pirate » des États-Unis, puisqu’il n’y a, dans l’île, que des armes « défensives ». Les « unités de combat [cubaines] rejoignent leurs bases opérationnelles », annonce la station. Des projecteurs balaient la baie de la capitale. L’accès aux plages est interdit. Il n’y a pas derafle, comme en avril 1961 ; Castro en fera fièrement état. Un « complot », il est vrai, avait été déjoué en août : une centaine d’exécutions, chiffre jamais atteint en une seule vague depuis la victoire. Si souvent mise en alerte sur de vaines prémices, la population montre un sang-froid qui impressionne.
À Moscou aussi, des mesures militaires sont prises. De vives déclarations sont formulées : le blocus est un « acte de piraterie » – un élément de langage d’évidence accordé avec
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