Fidel Castro une vie
de La Havane, pourtant,a envoyé deux avions militaires à Bogota. Le lendemain, tous sont de retour à Cuba. Fin de l’aventure.
La presse cubaine a assuré une ample couverture aux événements. Les quatre n’ont pas été épargnés par les journaux de droite. Il n’importe ! Dans ce pays où l’on a le goût du panache, l’aventure vaut à Castro, le plus connu des comparses, un regain de notoriété. Une photo paraît dans le prestigieux
Bohemia
, montrant Fidel, un costaud un peu grassouillet, le visage poupin, cravaté et portant blouson de cuir, la cigarette à la main, dans une rue dépavée et jonchée de débris. Dans le fond, des passants. Aux côtés du futur
Lider
, un personnage tranquille, en manteau, un délégué mexicain et un jeune homme mince, moustachu, vêtu d’un costume deux pièces : Ovares… Castro est dithyrambique sur son aventure. « Je suis très fier de moi parce que j’ai agi de façon conséquente, conformément à des principes, avec une morale correcte, avec dignité, honneur, discipline et un altruisme incroyable. » Qui dit mieux ? Eh bien, Arturo Alape : « J’ai senti plus que jamais combien la mémoire de Fidel est un grand fleuve qui fertilise de ses eaux notre continent. » Cette fascination envers Castro de maint intellectuel latino-américain va parfois, on le voit, au-delà de ce que l’intelligence, pour ne rien dire du sens du ridicule, commanderait…
Lionel Martín suggère avec finesse que l’une des observations que Fidel pourrait bien avoir faites en Colombie concerne « la grande puissance de division de l’anticommunisme ». Notant que la droite a bientôt catalogué les éléments favorables à Gaitán comme « d’inspiration communiste », il aurait compris qu’il y avait là un moyen puissant par lequel les tenants du
statu quo
peuvent « bloquer la nécessaire unité populaire ». Castro ne tombera jamais dans ce piège. En même temps, il a bien perçu que les communistes, précisément parce qu’ils sont la cible automatique de la droite, ne peuvent pas, en une phase de lutte, être un élément agglutinant. Ils seront donc un outil, dont on peut se servir. Il est légitime de supposer que c’est à partir de ce printemps 1948 que Fidel se met à piocher dans la littérature marxiste. Le décalage entre cette force spontanée qui émanait du
Bogotazo
et l’impréparation des foules acertainement convaincu le jeune homme de se mettre en quête de réponses à son propre questionnement : « Que faire ? »
Castro, donc, est rentré à La Havane le 12 avril 1948. La présidentielle est fixée au 1 er juin. Chibás s’y présente, cela va de soi. Auréolé de sa nouvelle dimension internationale, Castro se jette dans la bataille du PCC. La campagne est dominée par le thème de la corruption du gouvernement sortant. On imagine les effets que notre orateur en tire. Quant au candidat choisi par les gouvernementaux, c’est Prío Socarrás, un avocat de quarante-quatre ans. Cet homme non dépourvu de panache se définit comme « socialiste chrétien ». Son action contre le dictateur Machado en 1933 lui avait valu un bref exil. Ministre du Travail de Grau, il a notamment eu pour tâche de casser la prééminence communiste au sein de la Centrale des travailleurs. Il l’a fait « le sourire aux lèvres et le fouet à la main ».
En concomitance avec les maccarthysme américain, l’anticommunisme est un thème obsédant à Cuba. Chibás, l’opposant le plus en vue de Prío, ne se prive pas d’y verser. Et Fidel n’est pas d’accord. Il ne se lance certes pas dans une défense active du PSP mais il tente d’infléchir la tonalité de la campagne d’« Edy ». Écumant sa province d’Oriente, il défend, certes, « l’idéalisme » de Chibas. Mais il lance aussi des flèches contre certaines relations encombrantes du chef de son parti – avec de grands propriétaires terriens en particulier. Chibás est obligé de lui répliquer : « Non, camarade Fidel Castro, tu ne dois pas nourrir le moindre doute. » Et ceci vaut au jeune homme d’être taxé de « communisme » dans un journal.
Le 1 er juin 1948, le destin ne bascule pas : Chibás est blackboulé, et Prío l’emporte largement. Le candidat orthodoxe est même battu à la seconde place par un conservateur. Seul le communiste Marinelo fait moins bien. La déception des supporters d’Edy est à la mesure de l’illusion qu’ils avaient entretenue. Quant à Fidel, il ressent le
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