Fidel Castro une vie
qu’il n’est pas sans péché. Qu’à cela ne tienne, il va se racheter. Devant un rassemblement d’un demi-millier d’étudiants, il égrène un chapelet de noms : ceux des personnages connus pour émarger à la caisse noire de Prío. Et, ajoute Lesnick, Castro admet avoir eu lui aussi, par le passé, la disgrâce d’être « impliqué dans les manœuvres des gangs ». Cette sensationnelle déclaration rend la situation de son auteur plus périlleuse que jamais. Il lui faut prendre le large. Où aller ? Aux États-Unis ! C’est une des révélations contenues dans le
Fidel
de Tad Szulc. Selon Lesnick, désormais réfugié en Floride, Castro passe au moins trois mois au nord, notamment à New York.
Fidel ne rentre à La Havane qu’aux premiers jours du printemps 1950 : juste à temps pour se mettre à « bosser » d’arrache-pied, dévorant un livre de droit après l’autre. En un trimestre, il abat le travail de près de deux années.
Et voici donc, à la mi-1950, le jeune homme de vingt-quatre ans docteur, avec trois mentions : « Privé », « International » et « Sciences sociales ». Il peut désormais s’établir, et même il le doit pour gagner sa vie, et celle du ménage. Il sera avocat, un métier auquel semblaient le prédestiner ses dons d’orateur. C’est aussi une profession libérale : il sera son seul maître. Il se choisit des associés. Ce ne sont pas des géants, Jorge Aspiazu et Rafael Resende. L’un est un conducteur de bus arrivé à grands coups de cours du soir. L’autre est un camarade d’études, d’une famille très modeste. En raclant leurs fonds de poches, les trois ont assemblé la centaine de dollars que leur demande le propriétaire d’un local de deux pièces situé au 57 rue Tejadillo, dans le tohu-bohu des
guaguas
(bus privés) de la vieille Havane. À deux pas de la cathédrale et de ce bistrot, la Bodeguita del Medio, où Hemingway a ses aises, ils sont au cœur d’un des plus beaux noyaux urbains de l’Amérique, avec sa cathédrale à la façade jésuite, son palais des Capitaines généraux, et son
Templete
sur la place d’Armes. Les bordels n’y sont pas encore ce qu’ils deviendront après 1953, quand les Américains, soulagés par la fin de la guerre de Corée, viendront de New York, en cinq heures d’avion, pour passer là des journées et des soirées de goguette.
Aspiazú-Castro-et-Resende sont d’accord sur un point : il faut gagner sa vie, mais pas n’importe comment. Les trois sont de gauche – encore que Resende rejoindra les rangs des supporters de Batista vers le milieu des années 1950. Alors on prend, certes, des causes réputées juteuses lorsqu’il s’en présente – pas si souvent d’ailleurs, telles des dettes impayées. Mais les trois consacrent l’essentiel de leurs efforts à des cas sociaux ou communautaires,
gratis
. Aucun ouvrier licencié, aucun étudiant poursuivi pour désordre, aucun syndicaliste tabassé ne les trouve insensibles.
Tout cela ne fait guère bouillir la marmite – même si des forains qu’il a défendus contre la municipalité le paient parfois en salades et carottes ! Les Castro sont saisis par l’huissier pour une facture de meubles impayée. L’électricité est parfois coupée. Fidel rappellera dans un discours, en 1961, que Fidelito a parfois manqué de lait. Mirta pleure certains soirs,mais ne se plaint jamais. Le dédain de Fidel pour l’argent a été signalé par tous ses biographes. Les rares fois où il en a eu, il l’a dépensé avec munificence. En contrepartie, il n’a jamais eu de vergogne à vivre aux crochets de qui pouvait pourvoir. Et surtout du vieil Ángel qui a même offert des voitures d’occasion à son fils en 1945 et 1950. Un bon côté du pouvoir, pour lui, sera sûrement de pouvoir se déplacer les mains dans des poches vides.
Castro avait pris sa décision sitôt finie son université : il serait candidat à l’élection de 1952. Ce serait, bien entendu, sur les listes du Parti orthodoxe. C’est dit : Chibás, le leader, serait président de la République, et lui, à vingt-six ans, député. Il ne s’interdirait pas, bien entendu, de pousser des idées plus radicales que celles de son « patron ». En particulier, dans le domaine international, il a, l’été 1950, signé le fameux « Appel de Stockholm » pour la paix et contre la bombe atomique, étroitement inspiré de Moscou, et aussi une dénonciation de la guerre de Corée, tout juste déclenchée.
Weitere Kostenlose Bücher