Fidel Castro une vie
rapporté qu’il voulait créer, et bien sûr présider, une Fédération des étudiants d’Amérique latine. Le jeune homme en a fait confidence peu avant son départ, en 1948, pour Bogota – un épisode capital de sa formation. Dans la capitale colombienne devait avoir lieu une rencontre « anti-impérialiste » en concomitance avec la réunion fondatrice de l’Organisation des États américains (DEA). Il s’agissait de manifester l’opposition de la jeunesse éclairée du sous-continent à la création d’un instrument diplomatique, l’OEA, où le poids des États-Unis « impérialistes » serait considérable. La puissance du Nord désire, en effet, formaliser au sud du Rio Grande la prééminence mondiale que lui a valu la victoirede 1945. La « guerre froide », concrétisée en février 1948 par le « coup de Prague », impose au leader du camp occidental de resserrer les rangs. En août 1947, déjà, a été signé le traité de Rio (Tiar), alliance militaire de l’hémisphère. Début 1948, Washington juge le moment venu de structurer politiquement le « concert » des nations américaines.
Elle offre un panorama contrasté, en 1948, cette Amérique latine. Les rares démocraties enracinées y sont en crise, tels le Chili et le Costa Rica. D’autres s’essaient : le Brésil, le Pérou, le Venezuela, l’Équateur. Les tyrannies, elles, s’accrochent : au Salvador, au Nicaragua, à Saint-Domingue, au Paraguay. L’Argentine est le pays qu’on observe. En 1943, des officiers nationalistes et socialisants, admirateurs de Mussolini et de Franco, ont succédé à des généraux réactionnaires L’un d’eux, Juan Perón, a été élu président. Seule en Amérique, l’Argentine avait refusé de déclarer la guerre à l’Axe, s’attirant la colère des États-Unis. Et Perón, qui symbolise ce cours des choses, est devenu un héros pour la jeunesse. Son projet de « troisième voie » – ni Moscou ni Washington – intéresse Fidel.
L’idée d’un congrès des étudiants latino-américains anti-impérialistes est partie de Buenos Aires. Castro, jamais rassasié de reconnaissance, a assuré en 1981 au journaliste colombien Arturo Alape, être l’auteur du projet ! Il aurait établi « des contacts, disons tactiques, avec les péronistes ». Il n’y a pas de doute, toutefois, que l’argent venait de Buenos Aires. Peut-être en raison de son activisme sur le campus en faveur des « causes » latino-américaines (de l’indépendance de Porto Rico à la « libération » de Santo Domingo), Fidel, quoique dépourvu de mandat électif, est désigné pour Bogota. Trois garçons l’accompagnent : le président de la Fédération étudiante, Enrique Ovares, Alfredo Guevara, son ami communiste, secrétaire de ladite FEU, et un certain Rafael del Pino.
Fidel a accordé en 1981 une interview sur ce sujet. C’est un long texte, très caractéristique de sa manière. Tout d’abord il tutoie Arturo Alape, lequel lui renvoie du « Commandant, vous… ». C’est aussi un modèle du style de Castro, avec retours en arrière et incessantes répétitions. La pensée se précise par approximations, attentive dirait-on à éviter les contradictions internes du récit. Et, comme tous les êtres peu véridiques,Castro, par ailleurs hypermnésique, accumule les détails chargés de « faire vrai ».
Avant d’arriver à Bogota, Fidel a fait deux escales. La première à Caracas où, après une révolution d’officiers libéraux, l’Action démocratique a fait élire à la présidence l’écrivain Rómulo Gallegos. Le Venezuela est à la joie de la démocratie retrouvée. « Je me réunis avec les étudiants, explique Castro. Notre intention était de leur demander appui pour l’organisation du congrès et leur expliquer nos idées. Ce fut un succès. » César disait : « Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu ! » Puis Fidel demande à voir le président Gallegos « et le contact eut lieu ». Ensuite le gaillard s’envole pour Panama en ébullition, une fois de plus, à propos du canal – un thème constant de mobilisation pour la jeunesse du sous-continent. À l’université, c’est le
blitz
: les Panaméens « se trouvèrent d’accord avec l’idée du congrès. »
À Bogota enfin, les étudiants colombiens accueillent à leur tour l’hypothèse avec transport. Mais un problème se pose : qui représente quoi ? Car il y a là les principaux élus des étudiants de Cuba, et il y a, outre del
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