Fidel Castro une vie
planification ? Les contacts entre Fidel et les communistes deviennent plus denses l’été 1958. Le PSP lui-même a évolué ; il est désormaisdemandeur, après avoir longtemps disqualifié l’homme de la Moncada. Mais le principal élément nouveau est cette disponibilité de Castro à passer du « non-anticommunisme », qui est sa marque, à une collaboration subtile avec le parti. À partir de la mi-1958, le PSP aura, et lui seul, deux représentants dans la Sierra : outre Luis Mas Martín, ami d’université de Fidel, le remarquable Carlos Rafael Rodríguez.
Cette « montée » tardive des communistes a souvent été mal commentée : absents dans la maturation de la victoire, ils ont eu une emprise considérable après celle-ci. Pendant plus de trois mois, de la mi-septembre à la fin de 1958 – alors que tous les commandants de Fidel, ses compagnons les plus écoutés, sont au feu loin de la Sierra –, un homme, Rodríguez, est au contact quasi quotidien du chef. Certes, il a lui-même rappelé que le premier abord avait été froid – en contraste avec l’accueil « harmonieux » que lui avait, peu auparavant, réservé Raúl. Il a même dû « faire antichambre ». Mais Rodríguez n’est pas un homme que l’on peut tenir longtemps en marge : ni son brio intellectuel, ni ses manières enveloppantes, ni son charme personnel ne sont « résistibles ».
En outre, Fidel, à l’approche pressentie de la victoire, a dû avoir quelques sueurs froides en songeant à la façon dont il gouvernerait cette chose tout de même plus complexe qu’une armée en campagne qu’est un pays. Car voici, en 1958, un homme qui n’a connu, outre le bruit et la fureur de la vie étudiante, que deux années à peine de vie civile et civique « normale ». Il est vrai que la guérilla est, de longue date, pour un jeune Latino-Américain aux grandes espérances, une sorte d’École d’administration – à l’atmosphère héroïque, mais coupée des réalités urbaines. Et la reprise de contact avec le pays profond, celui des problèmes quotidiens, ne peut être que rude. Aussi peut-on imaginer que le temps passé par Rodríguez dans la Sierra a été mis à profit par Fidel pour envisager avec lui des solutions d’avenir… Et ce d’autant que le communiste avait été, deux ans, ministre sous le « Batista démocrate ». Nul ne pouvait exciper d’une telle expérience dans l’entourage de Castro – surtout composé, hormis son frère cadet et Guevara, de paysans courageux et astucieux. Tombant sur un terrain naguère fertilisé par la lecture des bons auteurs marxistes, bonifié parle commerce du Che et de Raúl, la graine lâchée par Rodríguez était prête à la germination… Ainsi lorsque, le 10 octobre 1958, Fidel signe la loi numéro 1, une réforme agraire, Rodríguez a été consulté. Les communistes, réputés exclus de tout avant 1959, ont bel et bien eu leur mot à dire dans la Sierra.
Les relations des États-Unis avec Batista, cependant, se détériorent au début de 1958. Ce revirement de l’administration Eisenhower est influencé par un autre événement : le renversement, le 23 janvier 1958, du dictateur vénézuelien Pérez Jiménez par une junte militaire réformiste et démocratique. Le 14 mars, Washington renonce à faire parvenir à La Havane un lot de deux mille fusils Garand prêts à être acheminés. C’est bel et bien l’embargo, dont il était question depuis six mois, et en faveur duquel la presse libérale et l’opposition démocrate américaines ont milité.
Pour le président cubain, c’est un terrible sixième anniversaire de son coup d’État. Pour Fidel, la nouvelle est bonne mais, juge-t-il, arrive trop tard pour être saluée avec transport. L’Amérique latine, elle non plus, ne croit pas au retournement de l’administration républicaine, comme en témoigne la désastreuse tournée, au printemps 1958, du vice-président Nixon, conspué dans plusieurs pays. Au milieu de l’été, Washington devra faire une mise au point malhabile : les roquettes américaines qui continuent de pleuvoir sur les rebelles n’ont été livrées que pour remplacer des engins défectueux ! Quant à la mission militaire américaine à Cuba, elle reste en place.
Pour aider Batista dans cette mauvaise passe, il ne reste, ironie, que le dictateur dominicain Trujillo, l’ennemi fieffé ! Encouragé par Washington ou convaincu que Castro serait un mal pire encore, le
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