Fidel Castro une vie
s’opposer pour de bon. Et lorsqu’un fils est engagé dans le combat, les familles, même modestes, n’hésitent plus à souscrire des « bons de la libération », à un dollar pièce, proposés par les activistes – souvent des femmes – du M-26. Les « professionnels », comme on dit à Cuba (médecins, avocats, architectes, ingénieurs, cadres), sont ceux qui répondent le plus volontiers présents à la levée. Certains patrons « castristes » prélèvent d’ailleurs « l’impôt révolutionnaire » sur les feuilles de paie ! Et des caissiers proposent ouvertement des bons aux guichets des banques. La vraie difficulté serait plutôt de maintenir un contrôle strict sur la qualité des nombreux arrivants. Sur les cadres, à tout le moins, on demeure vigilant. Hart écrit : « Nous devons surveiller le cœur du mouvement plus que nos propres ennemis. » Et Fidel lui-même fait cette recommandation : « Un mouvement révolutionnaire ne doit pas cesser d’épurer ses cadres. »
Castro ne doute certes pas, en ce début de 1958, que la victoire est au bout de son combat.
Son
combat ? En effet, en 1957, il a, la plupart du temps, conduit ses hommes à l’assaut. C’est en février 1958 que son état-major signe une lettre respectueuse le priant de ne plus être désormais à la tête des troupes : « Au nom de Cuba, au nom des rêves et des espoirs que vous incarnez aux yeux des générations d’hier, d’aujourd’hui et de demain. »
Mais il hésite sur la stratégie : se déployer pour éviter de s’enterrer dans une Sierra désormais sous contrôle ? Ou se renforcer dans l’attente d’une attaque gouvernementale ? Avec la prudence que les responsabilités ont inculquée à cet homme impulsif, Fidel choisit de faire un peu les deux.
L’expansion, elle, commence lorsque, le 27 janvier 1958, Raúl est nommé commandant, avec la responsabilité d’une colonne de soixante hommes chargée de créer un « second front » à cent cinquante kilomètres au nord-est de ce qui a été le cœur de la rébellion : cette Sierra de Cristal dont les hauteurs dominent la ferme natale de Birán. Après une minutieuse préparation, le jeune Castro se met en route, le 10 mars. Il a emmené avec lui de solides paysans comme Fajardo, Frías et Ameijeiras. En quelques mois, le petit frère dévoilera ses qualités : esprit d’initiative, sens de l’organisation. Tout en menant une guerre avec ses hauts et ses bas, Raúl prend garde de bien jeter les bases d’une organisation révolutionnaire sur les milliers de kilomètres carrés sous sa « juridiction ». Les hommes avec qui il travaille deviendront, après la victoire, le cœur de cette armée qui sera, un demi-siècle durant, son fief. Cependant, deux autres colonnes reçoivent l’ordre de se porter au-delà du « périmètre sacré » du pied du Turquino : celle d’Almeida vers Gran Piedra, au nord-est de Santiago, et celle de Cienfuegos, dans la plaine marécageuse du Canto, au nord de la Maestra.
Fidel est convaincu que Batista ne pourra pas ne pas livrer un suprême combat. Il constitue donc, à partir d’avril 1958, le cœur de son système en un repère qu’il veut inexpugnable : son premier QG fixe depuis seize mois. C’est un risque : à se fortifier, on peut perdre les avantages de la rusticité et de la mobilité. Fidel prend soin, cependant, d’organiser un territoire assez large pour y pratiquer le repli en profondeur : appuyé à l’est sur le fortin naturel du pic Turquin et surveillé par lacolonne du Che ; défendu au sud par la configuration de la côte, où la Sierra plonge dans la mer, sauf aux embouchures de maigres fleuves côtiers ; et protégé à l’ouest par les premiers contreforts de la Maestra. Le « territoire libre » est un ovale de cinquante kilomètres de grand diamètre sur trente, avec ses seules entrées au nord-ouest, vers Manzanillo, et, au nord-est, vers Bayamo. Une jeep, montée là au printemps 1958, permet à Fidel de ne pas perdre de temps en inspections des postes et vérifications des travaux.
Dans le canton nord-est de cet espace, en amont du petit fleuve La Plata, adossé au Turquino, Fidel installe une sorte de donjon : la
comandancia
, son PC. C’est un ensemble de bâtiments plats, en bois, étirés en bordure d’une clairière haut située au bout d’un chemin accessible seulement aux hommes et aux mulets. La maison de Fidel domine un affreux ravin par où il pourrait s’échapper par une
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