Fidel Castro une vie
citoyen qui s’engagera… passera en conseil de guerre comme criminel ». Quant aux militaires en activité, ils se voient invités à déserter. Fidel et Faustino, cosignataires, lancent aussi le mot d’ordre de « grève de l’impôt ».
Le 5 avril, annoncé comme le début de la « guerre totale », est le samedi saint. On imagine des « Pâques sanglantes » : « Le sang coulera dans les rues », a en effet assuré Castro. Les envoyés spéciaux affluent, y compris – nouveauté – d’Europe.
Le Monde
dépêche son premier reporter à Cuba : Claude Julien, qui deviendra un observateur régulier de la Révolution. Or, rien ne trouble ce jour de fête. Partisans et adversaires du régime attendent alors pour le lundi l’ordre de grève générale. Rien. Même calme le mardi. Et à peine quelques actes de bravoure le mercredi – dont le sabotage de la distribution de courant dans la vieille ville. L’ordre de grève générale n’a pas été suivi. Les rares groupes qui ont tenté d’arrêter le travail ont été pris à partie par des « jaunes » que le gouvernement a autorisés à s’armer. La police et l’armée lancent la chasse à l’homme, faisant deux cents morts dans le pays – le plus grand massacre de la guerre. Batista, le lendemain, annonce que le calme a été rétabli. Il se permet de plaisanter devant les correspondants : « Je ne sais moi-même qu’il y a une révolution à Cuba que lorsque je lis les journaux étrangers. » L’échec est patent. Fidel est hors de lui : cette affaire a affaibli la crédibilité du Mouvement. Comment cela a-t-il été possible ? « Je suis une merde qui ne peut rien décider », écume-t-il. C’est qu’il n’a pas d’autorité sur « la plaine » : « En évoquant mon “caudillisme”, chacun agit à sa fantaisie », dit-il. Désormais en conflit ouvert avec son M-26, Fidel va, cette fois, trancher le conflit latent qui l’avait déjà, en 1957, opposé à País. Il va se donner les moyens d’exercer le contrôle politique et militaire sur toute l’île dans l’optique del’après-Batista. Il veut avoir sous sa coupe les personnages clés des villes : les responsables pour La Havane et Santiago. Le 3 mai 1958, lors d’une réunion de seize heures organisée dans une ferme de la Sierra, il destitue Faustino Pérez et René Latour, et les remplace par ses hommes. Il prend aussi en main l’« émigration » : il envoie Haydée aux États-Unis pour superviser la collecte des fonds et les expéditions d’armes. En outre, il destitue le responsable du Front ouvrier, David Salvador, un syndicaliste noir très populaire. Ainsi la grève du printemps 1958 n’a pas visiblement affaibli le pouvoir de Batista, mais elle a considérablement renforcé celui de Castro.
Lors de la réunion du 3 mai, Guevara, qui n’est pourtant pas membre de la direction du M-26, est invité à participer : c’est là, note Tad Szulc, « son entrée formelle dans le cercle suprême des dirigeants révolutionnaires ». Le Che a nettement exprimé ce qui était en jeu dans cette dramatique session. Il observe que « les divisions entre la montagne et la plaine étaient sérieuses… Les camarades du
Llano
… manifestaient une certaine opposition au
caudillo
qu’ils craignaient de percevoir en Fidel, ainsi qu’à une faction militariste qu’ils voyaient en nous, gens de la Sierra ». Le même 3 mai 1958, Fidel est nommé « commandant en chef » de toutes les forces armées rebelles – y compris des « milices urbaines », jusque-là subordonnées à la plaine. Il devient aussi secrétaire général du M-26.
On peut penser que, à partir de cet événement, Fidel a médité sérieusement sa stratégie envers les communistes. L’une des raisons majeures de l’échec de la grève, Faustino Pérez l’a reconnu, était « la mauvaise perception de la question de l’unité des facteurs [la « langue de bois » pointe !] : il n’y avait ni conviction ni enthousiasme pour rallier les autres organisations ». Le M-26 a, en fait, « sacrifié la mobilisation des masses », jugeant les communistes trop peu fiables pour leur communiquer les consignes du 9 avril. Or, Fidel avait envoyé des directives pour que nul ne fût laissé à l’écart de la préparation. Castro se prend-il alors à juger que la précision dans l’action dont on crédite les hommes du PSP ferait bon effet sur ses sympathisants dont le romantisme s’embarrasse peu d’un goût pour la
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