Fidel Castro une vie
la télévision. À la vérité, le chef d’état-major des forces armées n’avait guère fait parler de lui depuis janvier, attentif à ne jamais se démarquer de Fidel. Il était plus rétif au marxisme que Raúl ou le Che mais n’était-ce pas parce que, sur ce point, Fidel apparaissait encore flottant ? Camilo, remplacé dans ses fonctions par le mulâtre Juan Almeida, s’en est allé prendre place au panthéon des martyrs, où ne le rejoindra que Guevara.
En attendant, la Révolution vient d’arrêter non un quelconque ci-devant, mais bien l’un de ses propres chefs. Ce tournant sème la consternation parmi les libéraux encore en place. Au procès de Matos, qui aura lieu du 11 au 13 décembre devant un tribunal composé d’officiers « rebelles », Fidel en personne accuse son ancien compagnon d’avoir « troublé les forces armées ». Des débats, où Raúl se montre procureur acharné, il ressort que l’inculpé a entendu pousser… à la création d’un directoire national du M-26 pour faire pièce à l’activisme dans le pays du PSP. Huber Matos sera condamné à vingt ans de prison. Il les exécutera jusqu’au dernier jour.
Des agissements inconsidérés d’exilés servent Castro. Le 23 octobre, deux avions partis de Floride survolent La Havane pour lancer des tracts. Ils sont attendus par la DCA. Mais des tirs mal réglés de l’artillerie antiaérienne font deux morts etdes blessés. Le lendemain, les autorités américaines admettent que les avions sont partis de leur territoire et que l’un des pilotes était Díaz Lanz. L’amalgame est fait, à La Havane, entre Matos et « l’aviateur traître ». La presse, elle, parle « d’agression américaine ».
Une fois encore, Fidel a recours à sa stratégie favorite pour faire entériner un passage délicat, comme peut l’être l’arrestation d’un commandant de la Révolution : il dramatise. Il en appelle, pour le 26 octobre, à « un million de Cubains ». Entre-temps, l’incursion aérienne du 23 est devenue, grève générale aidant, un « bombardement » étranger : outre des tracts, les appareils auraient lâché « des grenades ». Débarqué à la tribune d’un hélicoptère, fusil à la main, Fidel se lance dans cet exercice que deux auteurs marxistes, André et Francine Demichel (
Cuba
), dénomment « la démocratie pédagogique » : demander « au peuple s’il est d’accord avec ce que le gouvernement révolutionnaire a fait ». Suivent vingt-six questions du genre : « Je demande au peuple s’il est d’accord avec la diminution des loyers. » À quoi le peuple répond par des « cris d’approbation »…
Le
Lider
prend à partie les États-Unis : « Les autorités américaines permettraient-elles à des avions de décoller de l’Alaska pour attaquer l’Union soviétique ? » Et d’interroger : « Qu’avons-nous fait de si terrible pour qu’on nous attaque ainsi ? Ce à quoi on peut s’attendre d’un gouvernement révolutionnaire : des lois révolutionnaires. » Et Castro de faire entériner, par une forêt de bras levés, trois mesures qui font basculer la Révolution dans la dictature de salut public : le rétablissement des tribunaux révolutionnaires (l’
habeas corpus
a été enterré quelques jours plus tôt) ; l’extension de la peine de mort à tous les « traîtres et contre-révolutionnaires comme Matos » ; et, surtout, l’entraînement des « paysans, ouvriers et étudiants » en vue de créer une « milice de cent mille hommes ». À son ordinaire, Fidel a annoncé ce qui était acquis : la milice se préparait depuis des semaines. Mais il fallait avancer pas à pas pour ne pas heurter les restes de la vieille armée. Le 26 octobre 1959, un nouveau système militaire naît ainsi à Cuba.
Les jours suivants, on apprendra une accélération de la saisie des biens agricoles américains. À Washington, on commence àposer la question du renouvellement du quota sucrier annuel – base de l’économie cubaine.
À l’automne 1959 sont pris les premiers contacts avec les pays de l’Est. Une mission arrive à Prague pour négocier l’achat de chasseurs à réaction. Fidel veut mettre un terme aux incursions aériennes des exilés : une soixantaine depuis juillet. Discrètement, Cuba et l’Union soviétique s’approchent. Le premier contact a, semble-t-il, été établi à l’occasion d’une foire soviétique à Mexico. Puis, révèle Tad Szulc, un envoyé spécial de l’agence Tass,
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