Fidel Castro une vie
démission du Premier ministre Miró Cardona, advenue en pleine phase « d’illusion lyrique », la ministre des Affaires sociales, Elena Mederos, seule femme du gouvernement, s’était insurgée, un mois plus tard contre la décision de rejuger quarante-quatre aviateurs « criminels » de la guerre contre les castristes et innocentés par un tribunal spécial de Santiago. Relançant lui-même le procès, Castro avait alors déclaré : « La justice révolutionnaire n’est pas fondée sur les préceptes légaux mais sur une conviction morale », et les inculpés avaient été rejugés et condamnés. Fidel avait alors déployé tout son charme pour retenir Elena Mederos. Le 12 juin, il la laisse partir. Le ministre de l’Agriculture Sorí-Marín, ridiculisé par une réforme agraire bâtie à son insu, s’éloigne aussi. Il est remplacé par Pedro Miret, l’aide de camp de Fidel. Le véhément Raúl Roa, ambassadeur cubain auprès de l’OEA (Organisation des États américains), naguère contempteur de Fidel, succède aux Affaires étrangères à Roberto Agramonte. Le ministre de l’Intérieur, Orlando Rodríguez, ex-directeur de
La Calle
qui avait accueilli des articles de Fidel à sa sortie de la prison en 1955, est remplacé par José « Pepín » Naranjo, un ancien du Directoire étudiant. Enfin, le ministre de la Justice, Ángel Fernández, voit arriver à son poste un homme qui n’a pas les mêmes états d’âme que lui : Alfredo Yabúr.
Des bombes éclatent à La Havane le lendemain. Pas de doute : « La contre-révolution relève la tête. » Castro stigmatise les « traîtres ». Le 15 juin, il rejette la note américaine relative à l’indemnisation des expropriés : « Batista a laissé les caisses vides. » La police procède à de nombreuses arrestations. Cette première vague touche des officiers batistiens à la retraite. L’
habeas corpus
, emprunt au droit anglo-saxon, est suspendu. La peine de mort est instaurée pour les « contre-révolutionnaires ». Cependant, deux cents volontaires antitrujillistes, dirigés par le Cubain Delio Gómez Ochoa, débarquent en République dominicaine. Il s’agit de mener une attaque préventive contre un adversaire qui soutient des exilés cubains. Mais ces hommes seront massacrés, ce qui provoquera une rupture entre les deux pays.
Exaspéré par la lenteur de la mise en route de la réforme agraire dans la province de Camagüey, fief du très anticommuniste
comandante
Huber Matos, Fidel, le 26 juin, ordonne à l’armée de prendre le contrôle de quatre cents domaines d’élevage de la zone. Parmi les propriétés touchées figure le « King Ranch » américain. Un fief hostile à la Révolution se crée.
Quelques jours plus tard survient l’« affaire Díaz Lanz ». Pedro Díaz Lanz est ce baroudeur qui, en 1958, avait posé des avions bourrés d’armes sur les terrains de fortune de la Maestra. Fidel l’a récompensé, après la victoire, en le nommant, à trente-deux ans, chef de la petite force aérienne cubaine. Il était aussi le pilote de l’hélicoptère personnel du
Lider
. Pourtant, Díaz Lanz, à son tour, s’est laissé aller à des déclarations anticommunistes : une position intolérable pour Fidel alors que le VII e Congrès du PSP vient de se rallier à sa ligne. Le commandant en chef a donc désigné un de ses fidèles de la première heure, Juan Almeida, superviseur de l’aviation. Díaz Lanz file alors en bateau vers Miami. La nouvelle de sa démission éclate le 1 er juillet. La défection est grave, car elle touche les forces armées. Une nouvelle vague d’arrestations de « contre-révolutionnaires » suit l’épisode.
Cependant, Urrutia joint de plus en plus souvent sa voix à ceux qui alertent le pays contre la « montée communiste ». Début juin, le chef de l’État est apparu à Camagüey aux côtés de Matos, lequel fait de plus en plus figure de chef des opposants aux ultras. Anibal Escalante, numéro 2 du PSP, dénonce Urrutia comme nuisant, par ses attaques anticommunistes, à « la solidarité des révolutionnaires ». Le 1 er juillet, Castro se découvre : « Il n’est pas concevable que, pour éviter d’être dénommé communiste, on doive les attaquer. » Commence une campagne de presse mettant en doute le désintéressement du président : il vient de s’acheter une maison. Pourtant, Urrutia persiste : « Les communistes infligent un énorme dommage à Cuba », dit-il le 13 juillet. Peu après, on
Weitere Kostenlose Bücher