Fidel Castro une vie
aussi coups de feu, qui blessent plusieurs personnes. L’armée devra, les jours suivants, reconduire chez eux, à bord de camions, des
guajiros
qui traînaient encore dans La Havane. Fidel vient ainsi de recevoir l’onction la plus irréfutable : celle des paysans, longtemps méprisés, qui forment le tissu conjonctif de Cuba. Et il a fait confirmer par le peuple que ses opposants sont bien des « contre-révolutionnaires ».
L’été pourra être chaud, le commandant est prêt. De fait, trois semaines plus tard, à l’annonce de la découverte d’un complot contre la Révolution, une troisième vague d’arrestations, plus importante encore, a lieu dans toute l’île. La personnalité la plus en vue parmi les milliers de détenus est Armando Cainán Milanés, président de l’Association des éleveurs, enrochée dans la province de Camagüey que commande Huber Matos.
Le « complot » rassemble des
auténticos
que la Révolution a mis en demi-solde, des représentants des milieux d’affaires, dont de gros éleveurs. En liaison avec le dictateur Trujillo, ils espéraient soulever une ville et, de là, créer un gouvernement provisoire qui en appellerait au pays. Dans cette entreprise, le régime a infiltré deux anciens du second front de l’Escambray approchés par les comploteurs : l’Espagnol Eloy Gutiérrez et l’Américain William Morgan. Ceux-ci attirent sur l’aéroport de Trinidad un C-46 chargé d’exilés en armes parti de Santo Domingo : de la haute trahison. Fidel s’offre le luxe, le 13 août, jour de ses trente-trois ans, de cueillir les traîtres. « À partir de ce moment, écrit Hugh Thomas, les avantages sociaux accordés aux pauvres et aux gens sans terre allaient s’accompagner d’emprisonnements, de détentions sans procès, parfois d’exécutions, de plus en plus souvent de saisies de terre arbitraires et de prisons surpeuplées. Amélioration par rapport à celles de Batista : la torture n’y était pas fréquente. Mais… le nombre des prisonniers était déjà supérieur. »
L’épisode dominicain pousse La Havane à accélérer ses missions d’armement, en Europe occidentale d’abord puis en Tchécoslovaquie. À Santiago du Chili, cependant, se réunit la première conférence de l’Organisation des vingt et un États américains (OEA) d’après la Révolution cubaine. Raúl y reçoit un accueil glacial mais Washington va échouer à créer un front des
Latinos
contre le castrisme. On apprend encore, au cours du crucial été 1959, que Guevara est rentré d’une tournée de deux mois dans huit pays non alignés, dont l’Inde, le Pakistan, l’Égypte, la Yougoslavie et même le Japon, sans rapporter rien de substantiel pour Cuba.
En prévision de la tourmente que tout annonce, Fidel renforce le dispositif du pouvoir. Le 17 octobre, il nomme son cadet, Raúl, vingt-huit ans, ministre des Forces armées – un centre d’influence évidemment capital. C’est l’occasion que choisit Matos, le dernier
comandante
anticommuniste en fonction, pour rompre : à ses yeux, Raúl est l’âme d’un petit groupe qui manœuvre Fidel. Le 20, le chef militaire de la région de Camagüey démissionne avec vingt officiers. Il écrit à Fidel : « Je ne veux pas devenir un obstacle à la Révolution. Ayant à choisir entre m’adapter et démissionner pour éviter le mal, jecrois honnête, et même révolutionnaire, de partir… Je ne peux concevoir le triomphe de la Révolution que dans une nation unie. Vous souhaitant plein succès dans vos efforts… je reste votre camarade. » Rien de moins subversif que ce texte et que l’attitude de Matos, attendant, sans coup férir, d’être arrêté ! Il va l’être : Castro lui-même, débarqué à Camagüey le 21, marche sur la caserne à la tête d’une petite foule. Le
Lider
accuse son compagnon d’armes d’être « un traître, qui a fait obstacle à la réforme agraire ». Puis il l’embarque vers La Havane, laissant derrière lui Cienfuegos pour réorganiser le commandement.
C’est en rentrant de cette mission, quelques jours plus tard, que le Cessna de Camilo disparaîtra mystérieusement. Aucune trace n’en a été retrouvée. Les rumeurs vont bon train dans une île nerveuse. Ne faut-il pas voir la main de Raúl dans cet accident frappant le plus populaire des guérilleros après Fidel : le jeune, le beau, l’héroïque Camilo ? Les supputations sont si insistantes que le
Lider
doit les démentir, le 12 novembre, à
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