Fiora et le Magnifique
moine espagnol. Elle s’y résigna,
regrettant seulement, quand sonnerait l’heure de l’ordalie, d’affronter l’épreuve
avec des forces diminuées.
Elle
passa toute la journée pelotonnée sur son lit. Depuis le matin, une pluie fine
tombait incessamment, noyant le jardin où il n’y avait plus d’oiseaux et Fiora
sentait son cœur s’alourdir à mesure que passait le temps.
A sa
grande surprise, la même sœur que le matin revint à la nuit tombante avec du
pain, de l’eau et une grande écuelle de soupe épaisse qui sentait bon les
légumes frais. Et à sa plus grande surprise encore, on lui parla.
– C’est
chaud, dit la converse. Dépêche-toi de manger !
Le ton
était presque amical et Fiora sentit son cœur se réchauffer. C’était bien la
première créature qui, dans cette maison, s’adressait à elle comme à un être
humain.
« Merci »,
dit-elle avec un sourire qu’on n’alla tout de même pas jusqu’à lui rendre. Mais
c’était sans importance. Avec l’appétit de son âge elle attaqua la soupe qui
lui parut succulente bien qu’elle eût un goût un peu inhabituel difficile à
déterminer. Elle n’eut d’ailleurs pas tellement le temps de se poser de
questions à ce sujet car, la dernière cuillerée avalée, l’écuelle s’échappa de
ses mains. Ses yeux se fermèrent et Fiora tomba dans un profond sommeil...
CHAPITRE VIII LA VIRAGO
Fiora
ouvrit les yeux sur un décor si étranger à celui où elle s’était endormie qu’elle
les referma aussitôt en pensant qu’elle était encore en train de rêver mais sa
tête lourde et douloureuse, sa bouche sèche et une pénible sensation de nausée
la rappelèrent à une pesante réalité. A nouveau elle souleva ses paupières puis
essaya de se redresser mais l’élancement soudain qui lui vrilla la tête l’obligea
à se recoucher avec un gémissement. Immobile, alors, elle contempla sans rien y
comprendre, le cadre invraisemblable au milieu duquel elle se trouvait.
Cela
ressemblait à une étuve car il y avait un grand baquet de bois posé sur un sol
dallé et creusé d’une rigole d’évacuation des eaux qui aboutissait à un trou
percé dans la muraille. Il y avait aussi un brasero, éteint d’ailleurs, mais
dont les fumées avaient noirci le plafond grossièrement crépi. Cela ressemblait
à une prison car un soupirail l’éclairait de haut et mal, enfin cela
ressemblait finalement à une chambre car le lit dans lequel Fiora était
couchée, assez grand pour accueillir trois ou quatre personnes, était
confortable. Les draps et couvertures étaient propres mais les rideaux qui l’enveloppaient
faits d’un tissu à grands ramages criards, rouges et jaunes, passablement
effilochés, montraient cependant ici et là des fils brillants, signes d’un
passé plus fastueux. Sur un gros coffre vert à la peinture écaillée, un
chandelier de fer, alourdi de coulures de cire, supportait six chandelles
allumées éclairant le mur en face duquel le lit était placé. Or, ce mur était
peint...
Grossièrement
sans doute, car il n’avait pas la patte des jeunes génies qui faisaient l’orgueil
de Florence mais par contre un grand sens du réalisme et une véritable débauche
de couleurs, le peintre inconnu avait étalé sur le mur les amours d’une nymphe
dodue et d’un satyre membru. Épouvantée, Fiora devint pourpre et ferma les yeux
en les plissant très fort pour ne plus voir la vilaine image.
– Si
tu prétends faire semblant de dormir, fit une voix de rogomme, c’est pas la
bonne manière !
Rouvrant
les yeux avec précaution, Fiora ne vit plus la peinture. Elle était remplacée
par une sorte de monstre ; une créature taillée comme un lansquenet dont
elle avait la voix râpeuse, avec des mains comme des battoirs à linge, des
épaules de portefaix et des bras bosselés de muscles. De la position allongée
où se trouvait Fiora, elle apparaissait immense et presque aussi large que
haute. Néanmoins il fallait bien se rendre à l’évidence : la créature
était une femme ! L’attestaient les seins qui pointaient comme des caronades
sous la soie vert cru de la robe et les longs cheveux roux crespelés qui
encadraient un visage aux dimensions du reste mais qui, peut-être, n’eût pas
été sans beauté s’il avait été débarrassé de sa couche de peinture et si les
yeux avaient été plus grands ; ils ressemblaient en effet à deux cailloux
verts dont ils avaient à peu près la
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