Fiora et le Magnifique
copie. Tu l’auras dans un mois ou deux !
Démétrios
montra une joie d’autant plus vive qu’il ne la ressentait pas vraiment. Il
avait trop attendu ce livre... et puis, dans deux mois, où serait-il ? Un
de ces pressentiments qui lui tenaient parfois lieu de seconde vue lui
soufflait qu’à cette époque le castello sous l’épaulement de la colline serait
vide et que lui-même serait loin. Mais où ? ... Il s’en souciait peu d’ailleurs
car, depuis sa jeunesse, sa vie avait été une longue errance à la recherche du
savoir mais l’entrée de Fiora dans son existence lui laissait entrevoir une
possibilité d’accéder enfin à un vieux rêve : voir un jour à ses pieds le
cadavre du dernier de ces ducs de Bourgogne, de ces Grands Ducs d’Occident qui
emplissaient le monde de leur splendeur, de leur puissance et de leur orgueil
mais dont la vantardise avait tué son jeune frère Théodose aussi sûrement que
le bourreau turc qui l’avait empalé ! Son petit frère ! Le seul être
qu’il eût jamais aimé !
Quinze
années les séparaient et, après la mort de leurs parents, ils étaient restés
seuls dans le grand palais du Phanar, à Byzance, où Théodose était né.
Démétrios, lui, avait vu le jour dans l’île de Cos, patrie d’Hippocrate, où son
père avait des propriétés. Sa vocation était née là.
Quand,
en 1453, le sultan turc Mahomet II était venu mettre le siège devant les murs
de Byzance, Démétrios avait trente-cinq ans et Théodose vingt. L’un était déjà
un savant médecin, l’autre appartenait à la jeunesse dorée comme il convenait
au descendant d’une riche et ancienne famille qui avait, un jour, accédé au
trône, et l’aîné souriait avec indulgence aux folies du plus jeune. Et puis, il
avait fallu se battre. Tous deux l’avaient fait, chacun à sa place : Théodose
sous le casque d’argent des gardes de l’empereur Constantin auquel il vouait
une véritable dévotion, Démétrios dans l’hôpital qu’il avait improvisé sous son
propre toit pour les dizaines de blessés qui affluaient chaque jour...
La
ruée des Turcs, ce triste matin du 23 avril où les Byzantins effarés s’étaient
aperçus que les galères de l’ennemi flottaient à présent dans la Corne d’Or
après avoir franchi une colline, était passée comme une tempête sur le
palais-hôpital. Démétrios alla rejoindre les derniers combattants. Le 29 mai,
près de la porte Saint-Romain, il vit tomber le Basileus [xv] qui n’avait gardé
des signes extérieurs de l’empire que ses campagia de pourpre,
ses brodequins ornés de l’aigle bicéphale. Il réussit à entraîner Théodose qui
voulait mourir là.
Au
prix de mille difficultés, les deux Lascaris réussirent à quitter la ville en
feu, à trouver un bateau et à gagner Venise où la nouvelle de la catastrophe
pesait comme un suaire. Tout l’Occident chrétien s’indignait, réclamait la
guerre contre le sultan et plus fort, plus haut peut-être que les autres
princes, le duc Philippe de Bourgogne. Théodose, qui ne rêvait que revanche,
avait entraîné son aîné à la cour de Bourgogne où ils avaient reçu grand
accueil. On fêtait les rescapés de Byzance, on se les disputait, surtout le plus
jeune car Démétrios lui, avec sa clairvoyance, pressentait tout ce que cette
agitation pouvait avoir de factice. Mais Théodose y croyait.
Il y
crut plus encore lorsqu’il fut donné aux deux frères d’assister, à Lille, à la
plus fabuleuse fête qui eût jamais été donnée, à celle dont l’Histoire se
souviendrait sous le nom de « vœu du Faisan »...
Il s’agissait
d’un antique usage : lorsque seigneurs et chevaliers s’engageaient pour
une plus grande action et voulaient conférer à leur serment une importance particulière,
ils aimaient à le prêter sur un oiseau noble, tel que le paon, par exemple. Au
cours d’un festin solennel, l’oiseau était apporté rôti et paré de ses plumes.
Un chevalier le découpait de telle façon que chacun des jureurs en reçut un
morceau établissant ainsi une alliance mystérieuse entre compagnons d’armes où
se retrouvaient le souvenir de la Cène et celui de la Table Ronde.
Le 17
juin 1454 vit cette fête du Faisan pour laquelle on employa les costumes et les
décorations les plus magnifiques, les machineries les plus singulières. Sur un
superbe oiseau portant collier d’or et de pierreries, le duc Philippe, son fils
Charles, les chevaliers de la Toison
Weitere Kostenlose Bücher