Fiora et le Magnifique
qu’achevait,
au-dessus du front, une brochetta, un amusant bijou d’or et de
perles qui ressemblait à une minuscule aigrette.
D’autres
perles encore – elle n’aimait que les perles mais elle les aimait à la folie – parsemaient
ses vêtements d’une blancheur brillante, brodés de fines feuilles d’or et
réchauffés d’hermine immaculée. Et elle était si belle ainsi que le cœur de
Fiora se serra : jamais elle ne pourrait atteindre à cette perfection !
Simonetta était unique, inoubliable...
– Je
reconnais qu’elle est belle, fit Chiara d’un ton mécontent mais il n’empêche
que ce culte affiché que lui rendent, non seulement Giuliano dont elle est
sûrement la maîtresse, mais aussi Lorenzo qui ne cesse de rimer pour elle et
sans compter tous les imbéciles comme le Botticelli ou Pollaiuolo qui se
traînent à ses pieds, a quelque chose de choquant. Elle est mariée, que diable !
Et veux-tu me dire où se trouve, à cette heure, Marco Vespucci ?
Car
Simonetta était mariée. Née à Porto-Venere au nom prédestiné – le port de Vénus !
– d’une riche famille d’armateurs génois, les Cattanei, elle avait épousé six
ans plus tôt et dans sa seizième année Marco Vespucci, l’aîné d’une noble
famille florentine dont le palais était voisin de celui des Beltrami. Dès sa
première apparition en public, lors des fêtes du mariage de Lorenzo de Médicis
avec la princesse romaine Clarissa Orsini, elle avait subjugué, non seulement
les deux frères mais aussi toute la ville émerveillée par celle que l’on
appelait avec ferveur « l’Etoile de Gênes »...
– J’ai
beau chercher, soupira Fiora, je ne le vois pas...
– Parce
qu’il n’y est pas. Et pas davantage madonna Clarissa. Elle reste dignement au
logis pendant que son époux et son beau-frère donnent des fêtes pour y célébrer
leur « Étoile ». Ne t’y trompe pas ! L’ambassadeur de Venise n’est
qu’un prétexte... Et, pour l’amour du ciel, cesse de faire cette mine ! Tu
devrais porter la tête aussi haut que Simonetta. Quand donc comprendras-tu que
tu as le droit d’être fière de toi-même ?
Instantanément,
les yeux de Fiora se chargèrent d’éclairs :
– Je suis
fière de ce que mon père a fait de moi et du nom que je porte. N’est-ce pas
suffisant ?
– Non,
il est temps que tu comprennes que tu n’es plus une petite fille mais une jeune
fille... très séduisante !
Fiora
se mit à rire de bon cœur :
– Mon
père et Léonarde disent comme toi. Je vais finir par vous croire tous
les trois.
– Et
tu feras bien ! D’autres se chargeront d’ailleurs de te convaincre, dès
que tu admettras qu’on peut te courtiser pour toi et non pour la fortune de ton
père. Je me demande d’ailleurs où tu as pris des idées pareilles ?
– Oh !
cela remonte à loin. Je devais avoir sept ou huit ans quand un
jour, donna Hieronyma...
– Ta
cousine ?
– Celle
de mon père, oui. Elle passait avec une amie dans le jardin où je jouais et
elle s’est arrêtée. Elle a prié une mèche de mes cheveux et elle a dit : « Cette
petite est vraiment laide ! Une vraie fille d ’Egypte ! Sans la
dot qu’elle aura, aucun garçon certainement ne voudra d’elle. »
– Et
tu l’as crue ? Il est vrai qu’elle est payée pour s’yconnaître
en laideur : son fils est un monstre.
– Je
t’en prie, ne parlons plus de cela ! Ce n’est ni le lieu ni le moment.
La
grande tribune s’emplissait. La reine prenait place sur son trône de part et d’autre
duquel s’installaient le Magnifique et l’ambassadeur de Venise, Bernardo Bembo.
Francesco Beltrami vint rejoindre les deux jeunes filles en compagnie de l’oncle
de Chiara, sur le balcon latéral le plus proche de la tribune.
– Eh
bien, jeunes dames ? fit-il avec bonne humeur, j’espère que vous êtes
satisfaites de vos places ? Rien ne saurait vous échapper de la joute ni
de ce qui se passe dans la tribune de la reine.
C’était,
en effet, intéressant et les deux amies s’amusèrent un moment à annoncer tous
ceux qui y prenaient place. Les prieurs de la Seigneurie d’abord, en bonnets
fourrés et dalmatiques de velours pourpre accompagnés du gonfalonier [iv] Petrucci. Puis
quelques-uns des hommes les plus nobles ou les plus riches de la ville. Il y
avait là aussi l’entourage habituel du maître : le philosophe-médecin
Marsile Ficino qui lui avait enseigné la doctrine platonicienne, le
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