Fiora et le Magnifique
car il
n’omettait jamais de la faire participer à tous les événements, familiaux,
religieux ou politiques de sa propre vie. Cette nuit, personne ne dormirait à
Florence. Il y aurait bal au palais de la via Larga et dans quelques riches
demeures mais aussi dans les rues et sur les places où le vin coulerait des
fontaines...
Quand,
flanquée de Léonarde et de Khatoun qui devaient l’escorter jusqu’à la place Santa
Croce où avait lieu la giostra et où elle retrouverait son père,
Fiora quitta son palais, elle avait oublié sa matinée maussade et ce qu’elle
croyait avoir de raisons sérieuses à une mauvaise humeur pour se laisser
entraîner par la joyeuse atmosphère de la ville et par son tourbillon de
couleurs et de sons. A travers l’air bleu, les cloches de tous les campaniles
sonnaient à rompre les bras des sonneurs et, à chaque carrefour, des musiciens,
des chanteurs proclamaient à qui mieux mieux la joie d’être jeune, d’aimer et
de vivre à Florence, la plus belle ville du monde. Les façades de toutes les
maisons disparaissaient sous les toiles peintes, les soieries, les draps rouges
et blancs, aux couleurs de la ville, galonnés d’or ou d’argent. On avait l’impression
de marcher à travers une immense fresque chatoyante, mais une fresque animée
par la foule en habits de fête qui s’en allait joyeusement vers le lieu du
grand spectacle. Sur toutes les places, on avait planté de grands mâts de bois
doré auxquels pendaient de longues bannières dont les unes portaient le lys
rouge, emblème de Florence, et le lion de saint Marc, emblème de Venise.
Les
jours de fête, tout le monde allait à pied, pour mieux jouir des décorations et
pour ne pas surencombrer les rues étroites livrées à la liesse populaire.
Lorenzo de Médicis donnait l’exemple et entraînait à travers la ville ses hôtes
illustres, avec d’ailleurs l’arrière-pensée de leur faire estimer sa
popularité, qui était immense, à sa juste valeur.
Devant
le palais de la Seigneurie qui, de ses murs sévères et de son haut campanile
dominait les maisons d’alentour et imposait l’image intransigeante de la foi,
Fiora rencontra son amie Chiara Albizzi, une charmante fille de son âge qu’elle
connaissait depuis toujours et pour qui elle n’avait pas de secrets...
peut-être parce que la jeune Chiara était presque aussi brune qu’elle et
regardait choses et gens d’un œil aussi curieux et aussi acéré. Comme Fiora
elle-même, Chiara, fille de la noblesse, était escortée d’une gouvernante et de
deux serviteurs armés. Quand le vin coule à flots, les mauvaises rencontres
sont toujours possibles.
Se
prenant par le bras, les deux jeunes filles laissèrent légèrement en arrière
leur escorte bienveillante. Léonarde appréciait infiniment la compagnie de la
grosse Colomba, la nourrice de Chiara, qui était sans doute la pire commère de
Florence et qui portait généralement avec elle un plein sac de nouvelles dont
sa fille de lait était toujours, naturellement, la première bénéficiaire.
– Je
croyais que tu ne voulais pas venir ? dit Chiara. Qu’est-ce qui t’a fait
changer d’idée ?
– Mon
père. Il tient beaucoup à ce que je paraisse auprès de lui à la giostra. Il
m’a même offert ce bijou pour la circonstance.
– Compliments !
Mais, il a raison : tu es superbe ! déclara la jeune Albizzi en
inspectant d’un œil connaisseur la symphonie de brocart et de velours gris
clair, de la teinte exacte de ses yeux, qui habillait son amie et le savant
édifice de tresses soyeuses, d’or et de perles qui avait demandé à dame
Léonarde une petite heure d’efforts.
– Toi
aussi tu es superbe, dit Fiora reconnaissante et d’ailleurs sincère. Tu as l’air
d’une aurore, Tu es toute rose !
– J’ai
surtout l’air de quelqu’un qui veut s’amuser tandis que toi tu parais bien
décidée à souffrir. Ne peux-tu vraiment t’ôter Giuliano de Médicis de la tête ?
– Chut !
Et ce n’est pas ma tête qui souffre, c’est mon cœur. On ne peut rien contre les
mouvements du cœur, soupira Fiora si tragiquement que son amie se mit à rire.
– J’espère
bien que tu en auras d’autres, des mouvements du cœur, et que tu ne vas pas
passer ta vie à soupirer après un garçon qui n’a d’yeux que pour une autre.
Abandonne Giuliano à ses amours idéales... ou alors prends patience !
– Que
veux-tu dire ?
– Ce
que tout le monde sait : les amours
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