Fiora et le Magnifique
le siège de Volterra, il y a
peu d’années, et comment notre Lorenzo a traité la ville rendue ?
Chiara
se mit à rire.
– Voilà
que nous discutons toutes deux comme si nous avions en charge la cité.
Décidément, tu t’intéresses beaucoup à messire de Selongey. Il est vrai qu’il t’a
beaucoup regardée l’autre jour... L’aurais-tu revu ?
– Non,
dit Fiora sans hésiter devant un si gros mensonge mais elle ne voulait partager
avec personne le moment vécu à Santa Trinita. Ces quelques minutes étaient à
elle seule. C’était comme un trésor caché qu’il ne fallait pas dilapider même
avec une amie aussi chère que Chiara. Khatoun suffisait pour pouvoir parler de
Philippe quand il serait retourné vers son maître, le Grand Duc d’Occident...
– Alors,
essaie de n’y plus penser puisqu’il repart bientôt et que, selon toute
vraisemblance, tu ne le verras plus jamais. Au moins aura-t-il servi à t’ôter
Giuliano de la tête et tu finiras peut-être par t’intéresser à ce pauvre Luca
Tornabuoni qui se dessèche pour toi. Ne ferait-il pas un excellent époux ?
– Que
ne l’épouses-tu toi-même puisque tu le trouves si bien ?
– D’abord
parce qu’il ne m’aime pas, ensuite parce que nous sommes de trop vieux amis,
enfin parce que je suis, tu le sais bien, pour ainsi dire fiancée à mon cousin
Bernardo Davanzati. Dans deux ans, on nous mariera puisque ainsi en ont décidé
nos familles. Bien sûr, je ne le vois pas très souvent puisqu’il représente, à
Rome, les intérêts de sa maison mais je sais qu’il m’aime.
– Et
toi ? L’aimes-tu ?
– Il
ne me déplaît pas. Aussi n’y a-t-il aucune raison de changer quoi que ce soit
aux projets que l’on a élaborés pour nous. Je pense que nous formerons un
couple très convenable, ajouta Chiara en souriant.
C’était
sans doute une bonne chose que de voir la vie tracée ainsi devant soi en une
belle ligne droite. Cependant Fiora, à la lumière de sa récente expérience, n’envisageait
plus l’existence de la même façon.
– Es-tu
certaine, dit-elle soudain, de ne jamais rencontrer un homme qui fera beaucoup
mieux que ne pas te déplaire ? Qui fera battre ton cœur plus vite... et
que tu auras envie de suivre jusqu’au bout du monde ?
Chiara
ne répondit pas tout de suite. Ses yeux bruns s’étaient fixés sur Fiora avec
affection mais aussi avec inquiétude. Pour laisser s’éteindre l’écho des
paroles révélatrices de son amie, elle alla prendre sur un dressoir une coupe
de verre bleu contenant des prunes confites et vint la déposer devant Fiora qui
en prit une. Elle-même considéra un instant le fruit sucré qu’elle tenait au
bout de ses doigts fins et soupira :
– Si
tu veux mon avis, il est grand temps que certain seigneur de Bourgogne regagne
ses brumes du Nord !
Fiora n’eut
pas le loisir de protester. L’entrée de Léonarde et de Colomba, qui s’étaient
attardées à la cuisine où la gouvernante de Chiara fignolait une nouvelle
recette pour farcir les pigeons, mit fin à la conversation. Colomba venait
proposer aux deux jeunes filles de reconduire Fiora jusque chez elle en passant
par la boutique de l’apothicaire Landucci où elle désirait s’approvisionner en
un certain onguent à la citronnelle, miraculeux pour la blancheur des mains.
– C’est
une bonne idée, dit Léonarde car nous n’en avons plus guère nous non plus.
On
partit par les rues, les deux amies marchant devant. En bonnes Florentines,
elles aimaient se promener ainsi, à travers le bruit et l’agitation d’une ville
dont les habitants vivaient plus volontiers dehors qu’à l’intérieur de leurs
maisons. Les femmes causaient d’une fenêtre à l’autre ou sur le pas des portes.
Les hommes, quand le jour tirait vers sa fin, sortaient afin de se réunir entre
eux pour discuter des affaires de la cité, se raconter des histoires ou échanger
des plaisanteries. Les marchands et les artisans se groupaient au Vieux Marché,
les jeunes élégants de la ville sur le pont Santa Trinita d’où ils regardaient
le jour s’éteindre dans les eaux du fleuve ; quant aux hommes importants,
on les trouvait sous les arcades de la Loggia dei Priori, à l’ombre même de la
Seigneurie, et il n’était pas rare que le Magnifique vînt se joindre à eux. Il
n’était pas rare non plus, quand le temps était beau, de voir sortir devant les
maisons des tables où l’on s’installait pour jouer aux
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