Fiora et le Magnifique
l’attendait au pied de l’escalier.
En se
trempant la tête dans une cuvette pleine d’eau froide, ainsi que l’attestaient
ses cheveux encore humides, Francesco avait réussi à chasser les fumées de l’ivresse
mais ses yeux étaient encore injectés de sang quand ils regardèrent le
Bourguignon, botté et enveloppé de son grand manteau de cheval descendre les
dernières marches, notant avec colère qu’il avait la mine d’un homme qui n’a
guère dormi et que son pas semblait alourdi... Apparemment, cette unique nuit
que Selongey avait exigée, il l’avait bien remplie, et Beltrami sentit s’enfler
en lui une fureur insensée. Il eut envie de grimper jusqu’à cette chambre où sa
belle Fiora gisait peut-être brisée, sanglotante, malade de dégoût après avoir
servi de jouet durant des heures à l’impitoyable lubricité de cet homme mais il
aperçut Léonarde qui, dans les ombres denses de l’étage, descendait lentement
et il se contint au prix d’un violent effort. Une seule chose était urgente :
que cette brute disparût à jamais de son horizon ! A force de tendresse,
il saurait bien faire oublier à l’enfant ce qu’elle avait souffert.
D’une
voix qui s’efforçait de ne pas trembler, il demanda :
– Vous
lui avez dit adieu ?
– Non...
Elle dort et je ne l’ai pas éveillée. Vous lui direz adieu pour moi... Vous lui
direz...
– Quoi
donc ? aboya le négociant.
Philippe
eut son drôle de petit sourire qui lui tirait la bouche d’un seul côté et
haussa les épaules.
– Rien !
Vous ne sauriez pas...
– De
toute façon, je ne lui aurais rien dit ! Et je ferai tout ce qui sera en
mon pouvoir pour qu’elle vous oublie... le plus vite possible ! Vous avez
voulu une nuit, vous l’avez eue. A présent, il vous reste à tenir votre
promesse et à vous faire tuer !
– L’ai-je
promis ? fit Selongey avec hauteur.
– Il
me semble, oui ! Avez-vous oublié vos paroles : après la souillure qu’un
mariage avec ma fille impose à votre honneur, vous n’avez d’autre ressource que
de laver cette tache dans votre sang. Y a-t-il quelque chose de changé ?
– Rien
n’est changé ! Comment présenter à la cour de monseigneur Charles une
épouse qui ressemble trait pour trait à une mère exécutée pour inceste et
adultère ? ... Non, rien n’est changé mais vous n’imaginez pas à quel
point je le regrette !
– Apparemment,
cette nuit n’était pas assez longue ? fit Beltrami avec un sourire
sarcastique. Peut-être souhaitez-vous que je vous invite à revenir ?
Philippe
regarda un instant, en silence, cet homme dont il comprit soudainement ce qu’il
avait souffert et ce qu’il souffrait encore pour lui avoir livré Fiora. Il
devina ce que ces noces étranges avaient soulevé de dépôt trouble dans le fond
de cette âme. Sans doute le Florentin venait-il de découvrir que son amour
paternel ne l’était pas autant qu’il l’imaginait et Philippe en éprouva plus de
pitié que d’irritation :
– Soyez
sans crainte ! Je ne chercherai pas à revenir car j’y perdrais mon âme.
Sachez-le, j’ai vécu en quelques heures tout ce que je pouvais espérer de
bonheur. Jamais je n’oublierai cette nuit... et j’espère que Fiora ne l’oubliera
pas non plus ! A présent, adieu, messer Beltrami ! Veillez bien sur
elle !
Enfilant
les gros gants de cuir qu’il portait à sa ceinture, Philippe se dirigea vers la
porte mais Beltrami l’arrêta et, sortant de sa longue robe de velours noir un
rouleau de parchemin scellé, il le tendit au jeune homme.
– Un
instant, seigneur comte ! Vous oubliez ceci. N’est-ce pas cependant le
prix de cette fameuse tache qui gêne si fort votre honneur ?
Philippe
pâlit et esquissa le geste de refuser. Il hésita :
– Je
voudrais pouvoir vous la jeter à la figure, votre lettre de change,
gronda-t-il, mais monseigneur Charles a trop besoin de cet or. Rassurez-vous
cependant ! Cette somme vous sera rendue et davantage encore quand ma
femme, après ma mort, héritera de mes biens.
Rageusement,
il arracha le rouleau des mains de Beltrami, le glissa dans son pourpoint et
sortit en courant, poursuivi par le ricanement ironique du négociant.
Traversant une partie du jardin que le petit jour grisaillait, il rejoignit les
communs où ses hommes l’attendaient et où Prames l’avait précédé.
Debout
dans la zone d’ombre de l’escalier où l’avait figée l’altercation des deux
hommes,
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