Fiora et le Magnifique
Léonarde fit un rapide signe de croix en écoutant décroître le bruit
des pas de cet étrange époux que l’on avait donné à Fiora. Ce qu’elle venait d’entendre
lui expliquait beaucoup de choses et elle entrevoyait à présent les termes de
ce contrat par lequel une enfant avait été jetée dans les bras d’un homme qu’elle
n’avait jamais vu. Elle descendit lentement les dernières marches et rejoignit
Beltrami qui, au seuil de sa maison, montrait un poing furieux à un jardin
vide.
– Il
savait donc ? demanda-t-elle doucement. Francesco, qui avait oublié sa présence,
tressaillit et la regarda sans rien dire. Son bras retomba, sans force, le long
de sa robe. Haussant les épaules, il soupira enfin :
– S’il
n’avait pas su, croyez-vous que je lui aurais donné Fiora ? Lorenzo de
Médicis lui a refusé l’emprunt qu’il venait contracter pour le duc de
Bourgogne. La main de ma fille... et sa dot ont été le prix de son silence. Un
beau prix comme vous voyez !
– Un
homme de son nom et de sa qualité, s’abaisser à ce vil marchandage ? J’ai
peine à le croire. Les Selongey ont toujours été gens au caractère rude,
difficiles à vivre souvent mais d’une loyauté sans faille envers leurs ducs et
incapables d’une bassesse. Et pour quoi ? Pour de l’or ? Ils n’ont
jamais été pauvres et leur faveur doit être entière...
– C’est
sa seule excuse : il ne voulait pas cet or pour lui-même. Vous l’avez
entendu ? Grâce à Dieu, il est parti, à présent et pour toujours ! Jamais
nous ne le reverrons !
– Jamais ?
A-t-il donc l’intention d’abandonner une jeune épouse dont il semble pourtant
fort amoureux...
– Non,
mais il a l’intention de se faire tuer à la guerre. Il aime Fiora, du moins il
le dit, et c’est peut-être vrai mais il estime qu’en épousant la fille de gens
déshonorés il a lui-même porté atteinte à la grandeur de son nom.
– Il
a épousé la fille d’un des plus hauts hommes de Florence. Il n’a pas à en
rougir, il me semble, tout Selongey qu’il soit ? Personne, ici, n’a jamais
entendu parler des Brévailles...
– Sans
doute mais lui sait à quoi s’en tenir. Cela suffit pour que la souillure lui
soit insupportable.
– Comment
a-t-il su ?
– D’honneur,
je n’en sais rien. Il dit avoir été frappé par une ressemblance. Frère et sœur,
les jeunes Brévailles se ressemblaient beaucoup. Leur fille est le portrait de
l’un aussi bien que de l’autre. A présent, je vous en prie, dame Léonarde, ne
parlons plus de ce personnage que je souhaite oublier le plus vite possible.
– Croyez-vous
pouvoir en faire autant pour Fiora ? Elle s’est donnée à lui trop
spontanément pour que son cœur ne soit pas pris et elle est de celles qui n’aiment
pas deux fois, j’en jurerais. Elle va souffrir...
– Pas
maintenant ! Pas déjà ! Elle sait qu’il doit partir seul pour
rejoindre son duc devant Neuss. Elle va l’attendre. C’est quand elle apprendra
sa mort qu’elle aura du chagrin. J’espère seulement que l’attente ne sera pas
trop longue : la douleur sera peut-être violente mais plus brève...
– Cela
peut être long. Un chevalier n’a pas le droit de se donner la mort sous peine d’y
perdre son âme et, d’une certaine façon, son honneur. Il faut qu’il se fasse tuer
en se défendant, qu’il trouve plus fort que lui. Si j’en crois les récits de
son écuyer, un tel adversaire n’est pas facile à rencontrer... Vous avez conclu
là un étrange marché, ser Francesco ! Dieu pourrait prendre plaisir à le
contrarier...
– Nous
verrons bien. Pour l’instant, il faut nous réjouir de ce que notre Fiora ne
nous sera jamais enlevée. Nous pourrons continuer à l’entourer, à la chérir.
– Ne
portera-t-elle donc jamais le nom de son époux ?
– Bien
sûr que si. Dès que la conjoncture politique le permettra sans crainte d’offenser
les Médicis, nous déclarerons le mariage.
– Et
si l’on pouvait le déclarer en même temps que la mort de l’époux, ce serait
encore mieux, n’est-ce pas ? fit Léonarde avec une amertume qu’elle n’arrivait
plus à retenir. Elle venait de comprendre que, si Philippe n’avait pas exigé de
vivre sa nuit de noces, Beltrami eût trouvé l’incroyable marché tout à fait à
son goût et elle découvrait que le meilleur des hommes pouvait se laisser aller
à un égoïsme impitoyable. Francesco Beltrami avait dû souffrir
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