Fiora et le Magnifique
ce jeune corps qui semblait insatiable jusqu’à ce qu’enfin,
Fiora, foudroyée, s’endormît d’un seul coup, la tête pendant hors du lit et ses
longs cheveux trempés de sueur traînant sur le tapis. Philippe, le cœur cognant
lourdement dans la poitrine, s’effondra à plat ventre, le visage enfoui dans
les oreillers et sombra aussi dans le sommeil.
Mais l’aube
n’était plus loin. Quelque part dans la campagne, un coq chanta, relayé par d’autres
aux quatre points de l’horizon... La porte de la chambre nuptiale s’ouvrit
silencieusement sous la main de Léonarde qui resta un moment immobile, au
seuil, fascinée par le spectacle que lui offrait, dans la lueur déclinante de
la veilleuse, la coquille rougeâtre de l’alcôve ouverte avec ces deux corps nus
que l’amour semblait avoir foudroyé. Celui de Fiora, dans sa pose impudique
avait l’air du cadavre d’une bacchante et Léonarde, le sourcil froncé, se signa
deux ou trois fois avant de marcher, sans faire le moindre bruit, vers ce lit
où, un siècle plus tôt, elle avait couché une vierge innocente...
Doucement,
en prenant bien soin de ne pas l’éveiller, elle redressa la jeune femme qui, du
fond de son sommeil, murmura des mots indistincts, sourit mais une fois sur l’oreiller,
se pelotonna comme une chatte heureuse de retrouver son coussin. Léonarde la recouvrit
puis, faisant le tour du lit, s’approcha de Philippe, posa une main sur son
épaule et le secoua doucement tout en se penchant vers son oreille.
– Messire,
chuchota-t-elle. Il faut vous lever ! Il est l’heure...
Habitué,
dès l’enfance, par le dur entraînement chevaleresque à dormir n’importe où et à
s’éveiller au premier appel, Philippe se retourna aussitôt et considéra la
gouvernante d’un œil presque entièrement lucide...
– Que
dites-vous ? grogna-t-il.
– Chut !
... Je dis que le jour va se lever et que votre escorte s’apprête. Messire de
Prames est en train de déjeuner.
– Déjà ?
... Pourquoi faut-il partir si tôt ?
– Vous
devriez le savoir. Afin de ne pas éveiller l’attention. N’en aviez-vous pas
décidé ainsi avec messire Francesco ? ...
– En
effet... mais c’était avant...
Il se
penchait sur Fiora pour l’embrasser mais Léonarde le retint :
– Ne
l’éveillez pas ! Ce sera plus facile...
– Vous
voulez que je parte... sans lui dire adieu ?
– Oui.
Ce sera mieux pour elle... et pour vous ! A moins que vous ne préfériez
garder le souvenir d’un visage défiguré par les larmes ?
– Non !
... Non, vous avez raison...
Il se
leva d’un mouvement souple qui n’ébranla pas le lit, bâilla en s’étirant
largement sans songer le moins du monde à cacher un corps où se voyaient les
traces d’anciennes blessures et les légères griffures que lui laissaient les
ongles de Fiora. Avant de ramasser la robe d’intérieur avec laquelle il était
entré, la veille, dans cette chambre, il se tourna vers la jeune femme qui
dormait paisiblement dans la masse noire de ses cheveux défaits, une joue sur
sa main et s’accorda une ultime minute de contemplation... Avec les larges
cernes bleuâtres qui marquaient ses beaux yeux aux paupières closes, elle lui
parut plus belle que jamais et, à l’idée qu’il ne la reverrait plus, quelque
chose se serra dans sa gorge... Il eût été doux de passer une vie entière
auprès d’elle mais le pacte dont il avait lui-même dicté les clauses ne lui
accordait qu’une seule nuit... Se penchant vivement, il prit doucement une des
longues mèches noires et y posa ses lèvres...
– Adieu !
... murmura-t-il... adieu, mon doux amour ! En se redressant, il vit que
Léonarde, avec un air bizarre, lui tendait une paire de ciseaux... Il les prit
avec un sourire qui bouleversa la vieille dame. Elle n’imaginait pas que cet
homme dont elle ne pensait rien de bon, pût avoir ce sourire d’enfant
émerveillé.
– Merci !
dit Philippe.
Il
coupa une petite mèche qu’il garda au creux de sa main puis, rendant les
ciseaux à Léonarde, prit son vêtement et quitta la chambre sans se retourner.
Restée seule avec Fiora endormie, Léonarde tira doucement les rideaux du lit
afin que la lumière du jour qui commençait à poindre n’éveillât pas la jeune
femme puis quitta la pièce sur la pointe des pieds...
Cependant,
dans le grand vestibule, dallé de marbre blanc et noir, Philippe de Selongey se
disposait à prendre congé de Beltrami qui
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