Fiora et le Pape
savoir la vérité. Puis le marchand
proposa cette pièce rare – la légende de la princesse exilée tenait bon – au
comte Girolamo Riario qui l’offrit à sa jeune femme, non sans l’avoir fait
passer par son lit.
Cette
ultime nuit avait clos la liste des malheurs de Khatoun. La toute jeune
comtesse Catarina était fière et un peu hautaine, mais bonne et généreuse. Sa
nouvelle esclave lui plut au point d’en faire sa suivante favorite, et même sa
confidente. Auprès d’elle, Khatoun retrouva presque le rôle qui avait été le
sien chez Fiora durant tant d’années.
– Mais
ce n’est tout de même pas toi, soupira-t-elle en conclusion de son récit. Il y
a en elle une violence qu’elle n’ose pas montrer car elle est loin d’être
heureuse avec le comte qui est une brute, un homme du commun dont l’oncle est
devenu pape et qui, de ce fait, écrase tout le monde autour de lui. Il n’aime
vraiment que l’or.
– Sa
femme est belle pourtant ! Ne l’aime-t-il pas ?
– Il
est fier parce qu’elle est princesse, mais il ne peut être question d’amour.
Songe que, lorsqu’il l’a épousée, elle n’avait que onze ans et pourtant il a
exigé que la nuit de noces ait lieu sur-le-champ. Je crois qu’elle ne le lui
pardonnera jamais.
– Elle
est enceinte néanmoins, si je me souviens bien ?
– Oui.
Elle va accoucher d’un jour à l’autre. Même si elle déteste son époux, elle est
obligée de le subir. Oh, elle a de grandes compensations : elle est la
reine de Rome. Tout ce qui compte dans la ville est à ses pieds. Et puis, elle
a les livres, le savoir. Au palais, il y a une pièce où elle aime se retirer
pour composer des philtres, des potions, des onguents pour la beauté.
– Elle
fait de l’alchimie ?
– Je
ne sais pas si cette pratique s’appelle ainsi, mais la comtesse vient ici très
souvent. C’est elle qui protège Anna la Juive – c’est comme ça qu’on l’appelle
–, parce qu’elle apprend beaucoup de choses chez elle. Et puis, Anna lui
compose des laits, des crèmes, des emplâtres qui embellissent ou qui aident à
conserver la beauté. Donna Catarina écrit tout cela dans un livre qu’elle garde
jalousement [xvii] .
– Décidément,
c’est une femme surprenante, fit Fiora, mais ne s’étonne-t-elle pas de tes
absences ? Voilà deux jours que tu viens ici. Elle te l’a permis ?
– Je
t’ai dit qu’elle est bonne. Je lui ai presque avoué la vérité : que j’avais
retrouvé ma seule amie d’autrefois, qu’elle était malade, et qu’elle avait
besoin de moi.
– C’est
vrai, Khatoun. J’ai besoin de toi. Malheureusement, nous allons nous quitter
bientôt. Dès que j’aurai recouvré mes forces, je demanderai à Stefano Infessura
de m’aider à sortir de Rome. Je veux aller à Florence d’abord, pour être à l’abri
des griffes du pape et de Hieronyma, et ensuite rentrer en France !
– Je
partirai avec toi. Je ne veux plus te quitter... et puis j’ai envie de revoir
donna Léonarda et de connaître le bébé Philippe.
– Tu
crois que donna Catarina te le permettra ?
– Qu’elle
le permette ou non est sans importance. De par la loi des esclaves, je t’appartiens
toujours car tu ne m’as jamais vendue, ni chassée... ni affranchie.
– Si.
Tu es affranchie depuis longtemps, Khatoun. Depuis le jour où, pour tenter de
me délivrer, tu t’es jetée dans les pattes de la Virago. Tu le sais bien.
– Oui,
mais je n’ai pas envie que cela se sache. L’entrée d’Anna interrompit la
conversation. La belle Juive venait renouveler, comme elle le faisait deux fois
le jour, le pansement de sa malade qui lui donnait d’ailleurs toute
satisfaction. Fiora avait échappé, grâce à ses soins, à la fièvre qui eût
retardé une guérison avançant à grands pas. Anna avait donc toutes les raisons
de se réjouir, pourtant, ce soir-là, elle était soucieuse.
– L’Infessura
ne s’est montré ni hier ni aujourd’hui, dit-elle, alors qu’il avait promis de
venir tous les jours...
– N’est-ce
pas plutôt la nuit qu’il faut l’attendre ? dit Fiora. Nous ne l’avons pas
vu la nuit dernière, sans doute. Il a pu être empêché. Il viendra ce soir...
Pourtant
la nuit passa sans que le scribe républicain vînt frapper à la porte. On ne le
vit pas davantage le jour suivant, et le quatrième matin se leva sans qu’il
reparût.
– Il
faut savoir ce qui se passe, déclara Anna. Je vais fermer cette
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