Fiora et le Pape
maison
soigneusement et me rendre chez lui. Tu n’ouvriras à personne, même à Khatoun !
ajouta-t-elle pour Fiora.
Dépouillant
rapidement sa tiare dorée et ses robes traditionnelles, Anna prit des habits de
servante, chaussa des socques, accrocha un panier à son bras comme si elle
allait au marché et quitta sa maison par la cour de derrière que la voûte ronde
faisait communiquer avec la rue.
Restée
seule, Fiora qui, depuis la veille, se sentait assez bien pour se lever, erra
dans la maison. Elle avait soif et descendit à la cuisine qui ouvrait de
plain-pied sur la pièce d’entrée pour y chercher de l’eau, puis elle s’aventura
dans le caveau qui servait de laboratoire à son hôtesse, feuilleta quelques
livres, mais la plupart étaient écrits en caractères hébraïques et elle n’y
comprit rien. Seul un traité d’Hippocrate, en grec, aurait pu retenir son
attention, mais elle ne se sentait aucune affinité avec la médecine et regagna
sa chambre, ne sachant trop à quoi s’occuper.
Machinalement,
elle s’approcha de la fenêtre devant laquelle, le matin même, Anna avait étendu
quelques pièces de linge. Il était tout de même possible d’observer ce qui se
passait dans la rue. Par prudence, Fiora demeura à l’abri des rideaux à moitié
tirés. Le spectacle n’avait rien de bien intéressant : quelques passants
pauvrement vêtus portant presque tous la rouelle jaune, des enfants qui
jouaient à la toupie sur une ancienne dalle romaine et, comme toile de fond, la
façade rébarbative du palais Cenci qui semblait refermé sur lui-même et dont la
masse dominait dédaigneusement le quartier.
Soudain,
l’attention de Fiora se fixa : un homme venait de sortir de ce palais
muet, tenant un cheval par la bride. Il s’arrêta au seuil, tournant la tête de
tous côtés comme s’il cherchait d’où venait le vent puis, sans même prendre la
peine de se hisser en selle, il se mit en marche lentement, lentement,
observant les façades des premières maisons du ghetto. Cet homme, c’était
Giovanni-Battista de Montesecco. C’était l’homme qui l’avait enlevée de France
et amenée captive à Rome.
Le
cœur de la jeune femme manqua un battement. Que cherchait-il dans ce quartier
misérable ? Il avait fait visite, sans doute, à quelque habitant du palais
Cenci, mais l’endroit n’était pas un lieu de promenade agréable et il aurait dû
enfourcher son cheval et s’éloigner rapidement. Pourtant, il traînait, il s’arrêtait
pour regarder quelque chose, revenait en arrière, repartait. Derrière ses
rideaux, Fiora murmura une prière pour qu’Anna ne revînt pas à cet instant. Même
sous son déguisement, elle attirerait sûrement, ne fût-ce que par sa beauté, l’attention
de cet homme qui, sous le vocable de condottiere, cachait en réalité un chef de
spadassins.
Heureusement,
quand Anna reparut, son panier plein, Montesecco avait disparu depuis quelques
minutes dans la direction opposée à celle par laquelle revenait la Juive. Fiora
descendit à sa rencontre, ce qui la surprit :
– Tu
t’es levée ? N’est-ce pas un peu tôt ?
– Pourquoi
pas ? Je n’ai pas de fièvre et mes jambes me semblent tout à fait solides.
Enfin, je n’aime pas rester couchée quand je peux l’éviter. As-tu des nouvelles ?
– Oui,
et elles ne sont pas bonnes. L’Infessura a été arrêté avant-hier.
Fiora
se sentit pâlir :
– Mon
Dieu ! Et... sait-on pourquoi ?
– Pas
vraiment, mais l’avis général est que le pape l’a fait saisir par le Soldan à
cause de ses écrits qui courent les rues de la ville. C’est ce qu’il appelle
donner les nouvelles de la nuit. On les trouve souvent au marché du Campo dei
Fiori ou encore près d’une vieille statue, reste d’un groupe antique, que les
gens du quartier appellent Pasquino. Stefano aime à y déposer ses pamphlets. Il
paraît que le dernier parlait du seigneur Santa Croce qui aurait tenté de
violer une femme dans les ruines du mausolée d’Auguste...
– Doux
Jésus ! Mais c’est moi cette femme-là ! Quelle folie d’aller crier
cette histoire aux quatre vents ! Stefano m’a délivrée et c’est là que j’ai
reçu ce coup de stylet.
– Une
folie sans doute... à moins qu’il n’ait pensé qu’on n’oserait pas s’attaquer à
lui ? Le peuple l’aime et ce qu’il cherche, au fond, c’est à soulever ce
même peuple pour que Rome puisse redevenir une république à la manière
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