Fiora et le Pape
C’est avec lui, si vous le permettez, que
je veux partager ce vin de Chypre et ce gâteau d’amandes.
– Bien
sûr ! Nous oublions les traditions ! Tu entends Carlo ? Viens
près de nous !
Le
marié obéit docilement, accepta la part de pâtisserie que lui offrait Fiora et
vida la grande coupe de mariage en argent ciselé où elle venait de boire.
– Merci,
fit-il d’une voix de petit garçon bien élevé. C’était très bon. Est-ce que je
peux aller me coucher ?
– Bien
sûr, mon petit ! fit Hieronyma d’une voix onctueuse. Nous allons t’y
conduire tout de suite avec ton épouse. Regarde-la ! J’espère qu’elle te
plaît ? Elle n’est pas vierge, bien sûr, mais il ne faut pas te montrer
difficile...
– Je
vais coucher avec elle ?
– Oui
et en prendre ton plaisir autant de fois que tu en auras envie... Elle est à
toi, tu sais, à toi tout seul...
– Ça
suffit ! gronda Francesco. Il n’a certainement jamais approché une fille
et je ne vois pas l’utilité de cette comédie. Seule la bénédiction nuptiale
était importante.
– Sans
doute, mais Carlo a mérité une récompense, et il n’y a aucune raison de le
punir. Tu la veux, n’est-ce pas, Carlitto, cette belle fille ? Va te
préparer ! Je vais la conduire moi-même à votre chambre et la déshabiller.
– Oui...
oui, Carlo veut bien ! fit le garçon en battant des mains avec un rire
idiot qui fit pâlir Fiora. Allait-elle vraiment devoir subir cet avorton qui
passait à présent sa langue sur sa bouche épaisse comme un chat en face d’un
bol de crème ?
– J’ai
reçu ce soir, en présent de la comtesse Riario, cette jeune femme qui était
jadis à mon service, fit-elle en désignant Khatoun restée à l’entrée de la
salle où elle se tenait aussi immobile qu’une statue. Elle saura parfaitement
me déshabiller.
– Un
soir de noces, cela revient aux dames de la famille, protesta Hieronyma.
– Eh
bien, vous ferez cela à deux, voilà tout ! soupira Pazzi qui baisa la main
de Fiora avec un regard qui en disait long. Sans aucun doute eût-il aimé se
charger lui-même de l’agréable besogne.
Refusant
le bras que Hieronyma lui offrait avec un méchant sourire, Fiora allait quitter
la salle suivie de Khatoun quand Pazzi, saisissant un flambeau, la rejoignit :
– Je
vais t’escorter moi-même pour rester avec toi un peu plus longtemps. Demain,
nous partons pour une affaire importante, Hieronyma et moi, mais nous nous
retrouverons bientôt, soit que je revienne, soit plus vraisemblablement que je
te fasse chercher avec Carlo. Jusque-là, tu seras ici chez toi.
Arrivé
à la porte de la chambre nuptiale, il lui souhaita le bonsoir à nouveau avec
force soupirs qui l’eussent amusée, sa situation n’eût-elle été si pénible.
Quand Hieronyma voulut entrer avec elle, Fiora la repoussa.
– Non,
tu n’iras pas plus loin ! Tu m’as amenée là où tu le voulais, cela doit te
suffire. Va-t’en !
– Mais...
– J’ai
dit : va-t’en ! Ne me pousse pas à bout, Hieronyma, et surtout n’imagine
pas que ma haine pour toi a disparu.
Comme
la femme, furieuse, voulait entrer de force, Francesco se jeta devant elle :
– Fais
ce qu’elle dit ! Nous allons redescendre ensemble, Hieronyma, nous avons à
parler !
Il
fallut bien que celle-ci s’exécutât. Lorsque Khatoun referma sur elles deux la
porte de la grande chambre éclairée par des flambeaux, Fiora ne put retenir un
soupir de soulagement, mais ne dit rien. En effet deux servantes achevaient, l’une
de faire la couverture du grand lit à colonnes garni de lourds rideaux de
tapisserie, l’autre de disposer dans un vase un énorme bouquet de pivoines
odorantes et de lilas qui embaumaient. Fiora leur fit signe de sortir et elles
s’exécutèrent après une révérence.
A
peine la porte fut-elle refermée que Fiora courut à la fenêtre qu’elle ouvrit
pour se pencher au-dehors. L’ouverture donnait sur une cour étroite, un puits
dont une lueur reflétée sur les dalles donnait la profondeur.
– Que
regardes-tu ? s’inquiéta Khatoun.
– Je
voulais voir s’il y avait là une issue.
– Tu
veux t’enfuir ? Cela paraît difficile.
– Tout
dépend quel genre d’issue on recherche. Crois-tu que je vais partager le lit de
ce... de cette chose ? Lui permettre de me toucher ? J’ai dû accepter
ce mariage grotesque : il ne faut pas m’en demander davantage.
– Et
que vas-tu faire ? Te jeter
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