Fiora et le Pape
tache
blanche sertie entre les bras d’un haut fauteuil de velours rouge. Il
ressemblait plus que jamais à un gros batracien hargneux. En face de lui, il y
avait une double tache noire et argentée que Fiora reconnut à sa haine avant de
distinguer les visages : Hieronyma et Francesco Pazzi qu’elle effleura
seulement d’un regard lourd de mépris. Et puis, devant l’autel, une forme
étrange, une sorte d’insecte doré aux longues pattes grêles, un corps ovoïde
surmonté d’une grosse tête sans cou qui penchait d’un côté, trop lourde
peut-être pour qu’on pût la tenir droite. Des cheveux longs et soyeux d’une
chaude couleur de châtaigne – la seule beauté de ce garçon sans âge – encadraient
un visage aux lèvres molles, au nez tombant et aux lourdes paupières se
relevant à peine sur des prunelles dont il était impossible de saisir la
couleur.
Dès le
seuil franchi, Fiora s’arrêta un instant, prête à s’enfuir si ceux dont elle
avait demandé la présence ne se trouvaient pas là. Mais, dans l’ombre du trône
papal, elle découvrit la simarre pourpre du cardinal camerlingue et la haute
silhouette de Mortimer sobrement vêtu de drap brun et qui, les bras croisés sur
sa poitrine, se rongeait un poing. Riario avait accompli sa promesse et Fiora
pouvait, à présent, se rassurer sur le sort de son ami... Mais quand son regard
rencontra celui de l’Ecossais, assombri par une impuissante colère, elle sentit
son courage diminuer. Il était tellement l’image d’un passé proche, d’un passé
perdu et devenu, de ce fait, singulièrement cher, qu’elle eut envie de courir à
lui et de se réfugier dans cette force qu’elle connaissait si bien. Bien sûr,
Mortimer viendrait sans peine à bout des quelques hommes présents, âgés pour la
plupart, mais au-dehors il y avait des gardes, il y avait aussi des geôliers et
des bourreaux, et Fiora ne pouvait plus revenir en arrière.
Elle
allait se mettre en marche vers l’autel quand la porte se rouvrit devant
Girolamo Riario. Il rejoignit Fiora et, avec un sourire plein d’arrogance, lui
offrit son poing pour qu’elle y posât la main, affirmant ainsi sa volonté d’apparaître
comme l’unique artisan de ce mariage, œuvre diabolique où se rejoignaient son
insatiable cupidité et la haine de Hieronyma.
La
main de Fiora hésita à toucher celle de cet homme, mais refuser eût causé un
esclandre qui lui eût peut-être aliéné la fragile bonne volonté de Sixte. Elle
se laissa donc conduire auprès de celui qui allait devenir son époux, mais,
après lui avoir accordé un regard, elle ferma les yeux pour mieux retenir ses
larmes car elle ne pouvait s’empêcher d’évoquer, à la place de cet être si
profondément disgracié et qu’elle entendait chantonner à mi-voix comme s’il eût
été tout seul, la haute silhouette de son bien-aimé Philippe, ses larges
épaules, son sourire un peu narquois et la passion qu’elle avait vu briller
alors dans ses yeux noisette.
– Jamais
personne ne prendra ta place, jura-t-elle silencieusement à l’ombre de son
amour. Quant à celui-là, dussé-je me tuer cette nuit, il ne me touchera ni
aujourd’hui ni plus tard !
La
voix du cardinal d’Estouteville lui fit rouvrir les yeux et elle vit que le
pape, avec l’aide de deux diacres, était en train de revêtir les vêtements
sacerdotaux afin de célébrer le mariage.
– Très
Saint-Père, dit fermement le Français, je vous demande solennellement et une
dernière fois de vouloir bien reconsidérer ce mariage. Aucune femme ne saurait
se résoudre à une telle union et j’ai peine à croire que donna Fiora soit
consentante.
– Vous
n’avez pas la parole ! coupa brutalement Riario. Elle a donné son accord
et il n’y a pas à revenir là-dessus !
– J’y
reviens cependant, parce que c’est mon devoir. Elle est sujette du roi de
France et je me soucie peu d’essuyer ses reproches quand il apprendra ce... cet
acte insensé.
– Où
prenez-vous qu’elle soit sujette du roi de France ? fit aigrement
Hieronyma. Elle a toujours été connue pour Florentine et elle est veuve d’un
Bourguignon. Ce mariage est, après tout, dans la nature des choses puisque,
autrefois, elle fut fiancée à mon pauvre Pietro, mon cher fils.
– Je
n’ai jamais été fiancée à ton fils ! s’écria Fiora. Je sais que tu n’en es
pas à un mensonge près, mais il y a tout de même des limites...
Ainsi
engagée, la cérémonie
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