Fiora et le Pape
des coffres et des armoires et faisait son profit des connaissances
rapportées par sa compagne d’au-delà des Alpes. En outre, elle ne se lassait
jamais de l’entendre évoquer pour elle les merveilles de cette fabuleuse ville
de Florence qu’elle n’avait aucune chance de visiter un jour. Il n’était pas
rare de voir, dans la vaste cuisine, Léonarde trier le linge tout en décrivant
à sa nouvelle amie, occupée à tourner une sauce, les bruits, les couleurs et
les senteurs des marchés du vendredi. D’autres fois, le contraire se
produisait, et Péronnelle initiait Léonarde aux us et coutumes tourangeaux
ainsi qu’aux potins, bonnes histoires et autres cancans qui couraient la ville
et la campagne, car elle avait une sorte de génie pour être toujours au courant
de ce qui se passait dans les environs.
Incontestablement,
Péronnelle était bavarde et, par ce trait, elle rappelait un peu à Léonarde la
grosse Colomba qui était à la fois son amie et sa meilleure source de
renseignements à Florence. Mais le débit tumultueux de la gouvernante des
Albizzi était bien différent de celui de dame Le Puellier. Celle-ci était une
conteuse-née qui savait donner couleur et piquant au récit de la plus banale
dispute entre deux paysannes au marché du faubourg Notre-Dame la Riche. En
outre, son langage, dépouillé de toute vulgarité, avait une certaine pureté et
une élégance dont Léonarde n’avait pu se retenir de lui faire compliment.
– Cela
tient, dit Péronnelle, à ce que je suis née dans ce pays. Nous autres, gens de
Touraine, sommes connus dans tout le royaume pour être ceux qui parlent le
mieux notre langue. Mais ne me demandez pas d’où cela nous vient, je serais
incapable de vous répondre. Je pense néanmoins que c’est un peu pour cette
raison que notre bon sire le roi Louis aime tant à s’entretenir non seulement
avec les grands bourgeois de Tours, mais aussi avec les petites gens comme mon
Etienne et moi.
Léonarde
en conçut un nouveau respect pour sa compagne, ainsi qu’un peu plus d’amitié
pour ce doux pays où il faisait si bon vivre. Elle s’y attachait chaque jour
davantage et en vint à redouter les deux événements susceptibles de troubler sa
béatitude : l’arrivée subite de Philippe venu rechercher sa femme pour l’emmener
de gré ou de force dans sa forteresse bourguignonne, et la réalisation de la
menace proférée par Fiora : partir pour Rome afin d’y demander au pape l’annulation
de son mariage. Le fait que la jeune femme semblait se plaire dans son nouveau
logis et ne prononçait jamais le nom de son époux n’arrivait pas à la rassurer
tout à fait : elle connaissait trop son impulsivité et ce besoin de bouger
inhérent à sa nature.
Aussi
quand, certain matin du mois de mars, Fiora, en se levant, bouda son écuelle de
panade au lait miellé, déclara qu’elle avait mal au cœur et s’évanouit avec
grâce sur le pavé de la cuisine entre les pieds de Léonarde et de Péronnelle,
les deux femmes se regardèrent-elles avec les mêmes yeux brillants comme des
chandelles et tombèrent dans les bras l’une de l’autre avant de songer
seulement à lui porter secours.
– Un
enfant ! clama Péronnelle, notre jeune dame attend à coup sûr un enfant !
Loués soient le Seigneur Dieu et Notre Dame qui ont béni cette maison !
Léonarde
pour sa part en pleurait de joie et, une fois la future mère confortablement
installée dans son lit, elle courut d’une traite jusqu’au prieuré de Saint-Côme
pour y faire aumône et y brûler quelques cierges. Il ne serait plus jamais
question de ce démentiel voyage à Rome puisque l’union de Philippe et de Fiora
allait porter fruit.
La
nouvelle, quand elle en eut conscience, stupéfia Fiora. La pensée que Philippe
ait pu, au cours de leurs nuits passionnées de Nancy, lui faire un enfant ne l’avait
jamais effleurée. Son amour pour lui, elle l’avait enfoui au plus profond de
son cœur, sous une couche de rancune et de jalousie si épaisse qu’il lui
arrivait de l’oublier. Et voilà qu’il était en train de pousser un rameau à cet
amour étouffé, un rameau qui allait bourgeonner durant le printemps qui s’annonçait
et l’été qui suivrait pour fleurir quand mûriraient les raisins. Et le lien qui
l’attachait à Philippe allait devenir trop puissant pour être jamais arraché,
sinon au prix de sa propre vie.
Le
malaise qui s’était emparé d’elle l’avait quittée comme
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