Fiora et le Pape
d’autrui... voilà qu’il se conduit
exactement comme l’eût fait à sa place le défunt duc Charles.
– Vous
voulez dire qu’il massacre ceux qui lui résistent ?
– C’est
à peu près cela. Pourtant, tout se passait si bien ! Le roi a commencé par
intimer l’ordre à René de Lorraine de se tenir tranquille et de ramener ses
troupes chez lui. Puis il a acheté Sigismond d’Autriche pour qu’il reste dans
son Tyrol et en a fait autant avec les Suisses pour qu’ils acceptent de se
contenter de ce qu’ils ont gagné. Et là-dessus, juste après votre arrivée, nous
sommes partis pour les pays de la Somme. Alors... !
Et
Commynes, avec la prolixité et le luxe de détails d’un homme pour qui la
politique est une seconde nature, raconta à son hôtesse comment Louis XI avait
pénétré en Picardie et en Artois sous le fallacieux prétexte de protéger les
biens de Marie de Bourgogne – qui d’ailleurs était sa filleule –, comme doit en
user un bon parrain envers une orpheline. Nombre de villes comme Abbeville,
Doullens, Montdidier, Roye, Corbie, Bapaume, etc., s’étaient laissé prendre
sans grandes difficultés et n’avaient pas eu à se plaindre ; mais d’autres,
mieux tenues en main peut-être par les gouverneurs bourguignons, avaient refusé
de se rendre et appelé Marie au secours. Elles surent alors ce que pesait la
colère du roi de France : assauts, pillages, exécution des notables,
expulsion des habitants et destruction de tout ou partie des villes coupables.
Ce n’était plus l’Universelle Aragne tissant patiemment ses fils du fond de son
cabinet, c’était Attila menant ses troupes à la curée. Arras, à demi détruite,
fut vidée de ses habitants que l’on remplaça par de pauvres gens qui avaient
eux aussi tout perdu.
– C’est
là, conclut Commynes, qu’est intervenu le dissentiment entre le roi et moi. Je
lui ai reproché ces grands excès si peu conformes à sa nature, et il m’a
reproché d’être demeuré trop flamand et de nourrir de la sympathie pour ses
ennemis. Voilà pourquoi vous me voyez sur la route de Poitiers avec, pour seule
consolation, la pensée que je vais pouvoir aller saluer dame Hélène, ma belle
épouse, dans sa cité de Thouars.
– Il
est vrai que vous ne la voyez pas souvent. Est-il normal qu’une femme vive
renfermée sur ses terres avec sa maisonnée tandis que son époux réside à la
cour du souverain ? murmura Fiora songeuse. Il semble que vous n’alliez
voir la vôtre que lorsque vous ne pouviez pas l’éviter ? Vous me faites l’effet
de gens bien étranges, tous tant que vous êtes, Français et Bourguignons !
Chez nous, mari et femme vivent l’un près de l’autre jusqu’à ce que la mort les
sépare. Et ne me dites pas que c’est là une vie bourgeoise : monseigneur
Lorenzo et donna Clarissa, son épouse, s’ils ne sont pas toujours sous le même
toit, demeurent au moins dans la même ville. Mais ici, le roi vit au Plessis et
la reine à Amboise ; votre épouse vit à Thouars et vous auprès du roi,
et...
Fiora
s’était animée en parlant. L’ivoire pâle de son visage avait un peu rougi,
cependant qu’une larme scintillait dans ses grands yeux gris. Et sa voix chaude
faisait entendre une légère fêlure. Commynes la contempla un instant sans rien
dire, se délectant au spectacle de sa beauté qui semblait aller vers la
perfection comme une rose sur le point de s’épanouir. Elle était assise dans
une haute chaire de chêne sculpté douillettement rembourrée de coussins de
brocatelle d’un vert argenté qui mettaient des reflets d’eaux profondes sur la
robe de moelleux « blanchet » brodée de menues feuilles de saule et
de violettes pâles qui formaient guirlande autour des manches, du profond
décolleté qu’une gorgerette de mousseline rendait plus modeste, et du bas de la
robe. Ses beaux cheveux simplement tressés d’un ruban formaient une épaisse
natte qui glissait contre son long cou gracieux et lui donnait l’air d’une
toute jeune fille.
Dans
ces simples atours, elle était plus éclatante que jamais. Pourtant, l’œil vif
du sire d’Argenton croyait bien remarquer que, sous les amples plis veloutés
retenus sous les seins par une large ceinture d’argent, le corps semblait s’être
légèrement arrondi. Il la vit alors avec d’autres yeux : elle n’était plus
seulement un être d’une exceptionnelle séduction et d’un courage peu commun,
elle était aussi une
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