Fiora et le Pape
une vague se retire. La
maison était calme, chaude et silencieuse, à la seule exception des bruits
montant de la cuisine où Péronnelle jouait sur ses casseroles de cuivre une
musique triomphale. Fiora alors se leva et, sans même songer à chausser ses
pantoufles, alla jusqu’à une longue et étroite glace de Venise, assez semblable
à celle que son père avait jadis fait venir pour elle, et qui était la plus
grande richesse de sa chambre. Là, elle laissa tomber sa chemise et examina son
corps avec l’idée que peut-être elle y trouverait un quelconque changement,
mais sa taille était toujours aussi mince, son ventre aussi plat et ses seins
exactement semblables à ce qu’ils étaient la veille.
– Il
est trop tôt, fit Léonarde qui entrait et la surprit dans cette position. Si
nous comptons bien, vous devez être enceinte de deux mois, mon agneau. J’espère
que vous êtes contente ?
Bien
sûr elle l’était, et c’était une sensation délicieuse, après deux mois de
repliement sur soi-même. Apprendre qu’une vie commençait à germer en elle lui
ôtait ce sentiment accablant de n’avoir en ce monde aucune utilité, aucun prix
réel puisque l’homme qui, un soir d’hiver, lui avait juré de la protéger, de la
chérir, de la défendre et de la garder en son lit et en sa chambre jusqu’à ce
que la mort les sépare lui préférait la guerre et le service d’une princesse
dont on disait qu’elle allait se faire allemande. Désormais, Fiora avait une
raison d’être et un but : donner le jour au plus bel enfant du monde et
puis, même si le père ne revenait jamais, l’élever, en faire un homme fort et
sage pour qui les armes et les fureurs des combats ne représenteraient pas le
bien suprême ; un homme qui saurait s’arrêter pour respirer une fleur,
pour admirer la beauté d’un paysage ou d’une œuvre d’art, ou simplement pour
parler au coin d’une rue avec un ami de choses utiles à l’Etat ou des dernières
découvertes de l’esprit humain. Un homme, enfin, qui ressemblerait à Francesco
Beltrami beaucoup plus, en fait, qu’à son propre père.
C’était
sans doute illogique, et même aberrant, mais l’idée que son fils pût devenir un
grand pourfendeur uniquement attaché à la force, voire à la brutalité, lui
faisait horreur. Elle avait vu la guerre trop longtemps et de trop près pour n’en
être pas dégoûtée, si tant est qu’elle lui eût jamais trouvé le moindre charme.
– Et
si c’est une fille ? hasarda Léonarde qui demeurait la confidente des
pensées de la jeune femme.
– C’est
une idée qui ne m’avait pas encore effleurée. Pour moi, l’enfant de Philippe ne
peut être qu’un garçon. Il faut d’ailleurs que ce soit un garçon ! N’allez
surtout pas en conclure que je ne saurais pas aimer une petite fille ! Bien
au contraire, car elle serait davantage à moi. Il faut toujours, un jour ou l’autre,
remettre un jeune mâle à des maîtres. Mais je suis persuadée qu’il faut me
disposer à continuer les Selongey.
Elle n’ajouta
pas, mais c’était son espoir secret, que l’attrait d’un fils saurait peut-être
ramener Philippe à une plus saine compréhension de la vie familiale. Dès lors,
elle se prépara à ce grand événement, écoutant sagement les conseils que lui
prodiguaient Léonarde et Péronnelle. Cette dernière se mit la cervelle à la
torture pour confectionner des mets qui n’inspireraient aucun dégoût à la
future mère, et tenteraient même son appétit. On bannit les succulentes mais
lourdes cochonnailles dont Tours était fière à juste titre pour des nourritures
plus légères. Fiora eut des laitages, des fromages frais, des pâtisseries
aériennes, des volailles fondantes et les meilleurs poissons qu’Etienne allait
pêcher dans la Loire. Elle eut aussi, tant que durèrent les nausées, des
tisanes de mélisse et de menthe, et, quand le printemps couvrit les talus de
primevères et fit éclater en énormes bouquets blancs ou roses les arbres
fruitiers du verger, Fiora, ce premier temps d’épreuves dépassé, se sentit bien
mieux qu’elle ne l’avait été depuis longtemps et prit une part active aux
préparatifs de la naissance : la layette à confectionner.
La
vie, dans la maison aux pervenches, était très calme, retirée et même assez
solitaire. Fiora s’en réjouissait car elle avait craint, un moment, que le
voisinage immédiat du château royal ne fût une source d’agitation sinon
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