Fiora et le Pape
vieille gouvernante :
– A
ce qu’il fera je jugerai la valeur de son amour. Et, voyez-vous, Léonarde, je
me demande si, avec un homme tel que lui, je ne me l’attacherais pas davantage
en le fuyant comme je viens de le faire.
– En
voilà une idée !
– Pas
si folle ! Je crois que je commence à connaître les hommes. Accepter de
rester confinée au logis en attendant leur bon plaisir et les enfants grâce
auxquels ils s’assurent de notre tranquillité est peut-être le meilleur moyen d’user
l’amour. A devenir trop quotidien, il perd de son éclat.
– L’amour-passion,
peut-être ! Mais il reste la tendresse et cette douce trame que tissent
les jours enchaînés aux jours. J’ai peur que vous ne vous lassiez vite de nuits
trop solitaires.
– Le
seraient-elles moins à Selongey pendant que Philippe galoperait à la queue du
cheval de sa duchesse ? J’ai envie d’être chez moi, vraiment chez moi. Il
y a trop longtemps que je ne sais plus ce que c’est.
Le
sujet était clos pour ce soir-là et l’on n’y revint pas. Léonarde avait fini
par penser qu’une retraite dans une solitude campagnarde ferait du bien à la
trop impulsive jeune femme et l’amènerait peut-être à plus de sagesse et à des
réactions moins irraisonnées. Elle fut d’ailleurs séduite, elle aussi, par
cette maison que le roi donnait à sa jeune amie et où tout était disposé pour l’agrément
de la vie.
Le
manoir s’appelait La Rabaudière, mais, depuis longtemps, les gens des alentours
l’avaient surnommé la maison aux pervenches à cause des longues traînées bleues
qui, au printemps, éclairaient le sous-bois et eussent envahi le jardin si l’on
n’y avait mis bon ordre ; elles se rattrapaient en s’accrochant à la
terrasse qui, du côté du fleuve, soulignait les fenêtres de la grande salle.
Leurs centaines d’étoiles d’azur foncé et leurs feuilles d’un joli bronze clair
faisaient chanter la blancheur des pierres de chaînage et les murs couleur d’aurore.
Quant au jardin qui ouvrait sur un verger, il avait de grands massifs à
bordures de buis, tout débordants de giroflées rouges dont les touffes un peu
folles enveloppaient des rosiers, des groseilliers, des romarins et des cassis
qui poussaient à leur gré de chaque côté de l’allée conduisant à la volée de
pierre d’où l’on gagnait la terrasse.
L’intérieur
avait autant de charme que l’extérieur et semblait continuer le jardin. En
dehors de la grande tapisserie mille fleurs qui était la gloire de la grande
salle, pas de tissus lourds dans cette maison des bois, mais des brocatelles
brillantes, des toiles brodées d’animaux familiers et de fleurettes de toutes
couleurs qui habillaient les lits et les « carreaux [iii] » disposés
un peu partout pour le confort des corps fatigués et le repos des pieds. Les
meubles étaient simples, mais d’un goût irréprochable. Ils embaumaient la cire
d’abeille et supportaient de superbes étains et des objets dont certains
obtinrent de Fiora un sourire attendri, comme de belles coupes en verre rouge
de Venise et des majoliques vertes qui avaient dû voir le jour sous le ciel de
Romagne. Quant aux nombreux coffres et dressoirs éparpillés dans les différentes
pièces, ils renfermaient assez de vaisselle et de linge pour combler une
maîtresse de maison, même aussi difficile que l’était Léonarde. Enfin, la
cuisine, rutilante de cuivres et abondamment pourvue de jambons, de chapelets d’oignons,
d’aulx et de bouquets d’herbes sèches pendus aux solives, acheva de conquérir
le cœur de la vieille demoiselle qui, pour la première fois depuis bien
longtemps, retrouvait l’impression délicieuse de rentrer chez elle après une
trop longue absence. Fiora, elle, était entrée dans sa maison avec la
simplicité d’un petit chat perdu qui trouve enfin un foyer et se roule en boule
près des cendres de l’âtre pour y passer la mauvaise saison. Elle s’y intégra
comme si elle l’avait connue depuis toujours.
Un
couple d’âge mûr, Etienne Le Puellier et son épouse Péronnelle, avait été
choisi, bien avant l’arrivée de Fiora, pour veiller à l’entretien du petit
domaine. Leur maison des bords du Cher avait été emportée par une grosse crue,
un an plus tôt, et Louis XI, qui connaissait Etienne depuis l’enfance et les
avait recueillis au Plessis, leur avait promis de leur rendre une maison plus
belle que la première s’ils
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