Fiora et le Pape
d’envahissement.
C’eût été sans doute le cas si Louis XI avait résidé au Plessis mais, presque
au lendemain de l’arrivée des voyageuses, il avait quitté sa demeure de
prédilection avec la plus grande partie de sa maison pour rejoindre ses armées
du Nord.
Il
entendait, en effet, ne confier à personne le soin de recueillir l’héritage du
Téméraire et, en fait, il n’avait laissé à son ennemi que peu de chances d’échapper
au piège de Nancy : à l’instant même où les glaces de l’étang Saint-Jean
se refermaient sur le corps agonisant du dernier des Grands Ducs d’Occident,
les armées du roi de France prenaient position aux frontières de la Lorraine,
près de Toul, près de Metz, ainsi que sur la Somme, et il y avait beau temps qu’elles
n’attendaient qu’un signal pour s’enfoncer en Bourgogne dont les limites
étaient déjà franchies. Depuis, la guerre faisait rage en Artois et en
Picardie, cependant que les puissantes cités flamandes, plus soulagées que
chagrinées d’une mort qui les libérait d’une tutelle dont elles refusaient le
poids, laissaient entendre à Marie de Bourgogne que le temps n’était plus où l’on
remettait en question leurs anciennes franchises et qu’en tout état de cause
elle était, dans son palais de Gand, beaucoup plus prisonnière que souveraine.
Pour mieux le lui prouver, on fit tomber les têtes du dernier chancelier de
Bourgogne, Hugonnet, et du sire d’Humbercourt qui était l’un des plus solides
conseillers de Marie.
Ne
sachant plus de quel côté se tourner, l’héritière infortunée avait, sur la fin
du mois de mars de cette année 1477, écrit au fils de l’empereur Frédéric,
considéré par elle comme son fiancé, une lettre désespérée l’appelant à son
secours. C’était à peu près au moment où Philippe de Selongey s’introduisait
dans Dijon, la capitale du duché dont il espérait, en l’amenant à la rébellion,
faire le foyer de la résistance.
Tous
ces événements, Fiora, au fond de son manoir tourangeau gardé par la forêt et
par le fleuve, les ignorait. Elle en eut une certaine idée quand, en avril,
elle reçut la visite inopinée du sire d’Argenton, Philippe de Commynes, qu’en
sa qualité de premier conseiller du roi elle croyait occupé à guerroyer à ses
côtés.
Il s’était
montré pour elle un ami dans des circonstances difficiles et elle l’accueillit
avec le plaisir que l’on éprouve à recevoir quelqu’un que l’on aime bien, lui
offrant le repos au coin de la cheminée où brûlait une pile de rondins odorants
et le gobelet de vin d’usage dans toute maison accueillante pour l’arrivée d’un
voyageur. Pendant ce temps, Léonarde courait sur son ordre prévenir Péronnelle
qu’elle eût à mettre les petits plats dans les grands. Commynes était gourmand,
elle le savait, et possédait un bel appétit flamand qu’il convenait de
contenter. Pourtant toutes ces attentions n’arrachèrent au conseiller royal qu’un
gros soupir :
– Vous
allez bientôt regretter de vous mettre à ce point en peine pour moi. Vous vous
imaginez sans doute que je vous apporte quelque message de notre sire ?
– C’est
vrai, avoua Fiora. Je le pense, mais s’il n’en est rien vous n’en êtes pas
moins le très bien venu. Est-ce que, depuis Senlis, nous ne sommes pas amis ?
– Je
l’espérais et c’est pourquoi, sur le chemin de mon exil, je n’ai pu me retenir
de venir passer un moment auprès de vous. Une façon comme une autre de me
consoler.
– Le
chemin de votre exil ? Vous êtes brouillé avec le roi ?
– Brouillé,
c’est peut-être beaucoup dire. Disons que je l’indispose et qu’il souhaite m’éloigner
de lui pour un temps. Il m’envoie à Poitiers.
– A
Poitiers ? Et qu’allez-vous y faire ?
– Je
n’en sais trop rien. Débrouiller je ne sais quelle histoire provinciale avec
les échevins de la ville, une misère pour un homme comme moi. Il est vrai que
je l’ai fort indisposé avec mes reproches.
– Vous
avez fait des reproches au roi, vous ?
– Moi.
Et le pire est que je ne le regrette pas et que je suis tout prêt à
recommencer.
– Mais
pourquoi ?
– Parce
que je me demande s’il n’est pas devenu fou ! Par grâce, Madonna,
versez-moi encore un peu de ce vin de Bourgueil ! J’en ai grand besoin car
j’ai à dire des choses amères. Je ne reconnais plus du tout notre sire. Lui si
sage, si prudent, si ménager de la vie
Weitere Kostenlose Bücher