Fiora et le Pape
femme rendue fragile par une future maternité qui ne
savait sans doute pas grand-chose de l’homme qu’elle aimait ; une femme
qui avait, surtout, le plus grand mal à s’adapter à cette forme de vie séparée
qu’imposent souvent la vie de cour et les exigences de la guerre. En Italie, la
guerre était l’affaire des mercenaires : le prince qui avait su choisir
les meilleurs et les plus nombreux avait de fortes chances de l’emporter. Les
gens de Florence, comme les autres, payaient pour rester chez eux, quitte à s’y
entre-tuer de temps en temps mais, quand un danger quelconque approchait des
remparts, c’était toute la population qui se battait, les femmes au coude à
coude avec les hommes. Fiora ne comprendrait jamais pourquoi le service d’un
suzerain quelconque devrait la condamner à la solitude sur ses domaines.
Doucement,
il prit l’une des jolies mains qui reposaient sur les genoux de la jeune femme,
la plaça entre les siennes et acheva la phrase qu’elle avait laissée en
suspens.
– ...
et votre propre couple, plus séparé encore puisque votre époux sert la duchesse
Marie et que vous-même êtes attachée à la France.
– Par
mes amitiés, mes intérêts puisque le peu de fortune qui me reste se trouve en
ce pays, enfin parce que je n’ai aucune raison de combattre le roi Louis qui a
été bon pour moi.
– Mais
vous attendez un enfant et votre dilemme n’en est que plus douloureux. Que puis-je
faire pour vous aider, mon amie ?
Elle
était devenue très rouge et les larmes qu’elle ne pouvait retenir glissaient
sur ses joues.
– Vous
qui savez toujours tout, pouvez-vous me dire où il est ? Depuis bientôt
quatre mois que je l’ai quitté, je n’ai eu aucune nouvelle.
– J’aimerais
pouvoir vous contenter, mais c’est difficile, même pour moi. Marie de Bourgogne
et la duchesse veuve sont tenues par les Gantois en étroite surveillance dans
leur palais du Coudenbergh, bien plus otages que souveraines, et nos espions n’ont
aucun moyen de savoir ce qui se passe chez elles. Néanmoins, je peux vous dire
que, si messire de Selongey est demeuré près d’elles jusque il y a peu, il
semble qu’il ait récemment disparu.
– Disparu ?
– Ne
l’entendez pas au mauvais sens, Madonna. J’entends qu’il n’est plus à Gand, et
je pense que Madame Marie a dû le charger d’une mission, peut-être en
Franche-Comté, plus vraisemblablement en Bourgogne où, paraît-il, la nouvelle
de la mort du Téméraire n’a pas fait verser d’abondantes larmes. Il aurait
alors à réchauffer cet enthousiasme défaillant.
– Autrement
dit : il est en danger ! Mon Dieu !
– Calmez-vous,
je vous en prie. Ce ne sont que des suppositions. La duchesse a pu aussi bien l’envoyer
à son fiancé pour le prier de se hâter. Je vous le répète : nous ne savons
rien. Ce que je peux vous promettre, c’est de vous faire parvenir des nouvelles
dès que j’en aurai reçu.
– Croyez-vous
qu’en Poitou vous en recevrez beaucoup ?
– Voilà
que vous remuez le fer dans la plaie ! fit Commynes en riant. Mais soyez
bien certaine que je garde, ici et là, quelques bons informateurs et que, de
toute façon, je ne resterai pas longtemps à Poitiers. Je vais fort m’ennuyer de
notre sire... mais lui s’ennuiera encore plus !
Léonarde,
entrant pour annoncer que l’on allait servir, trouva les deux amis en train de
rire, ce qui la rassura. Commynes, tout français qu’il était devenu, gardait un
petit fumet bourguignon qui n’était pas sans l’inquiéter vaguement, mais au
cours du repas qui suivit elle l’oublia. Commynes était toujours un convive
aimable, joyeux et disert. Ce jour-là, comblé par un admirable saumon de Loire
à la sauce au citron, suivi de boudins blancs à la chair de chapon et d’une
succulente fricassée de gelinottes et de bartavelles aux champignons, le tout
arrosé des jolis vins de Loire qu’Etienne Le Puellier élevait pieusement dans
le cellier de la maison, il fut étincelant, étourdissant de bonne humeur. Fiora
riait et Léonarde, heureuse de l’entendre rire, se montra pleine d’attentions
pour le visiteur de passage.
Le
lendemain, Commynes reprenait le chemin de son exil, laissant derrière lui une
Fiora pleine d’espoir. En effet, peu désireuse de servir l’empire allemand, la
haute noblesse bourguignonne commençait à regarder d’un œil adouci les mains
chargées de présents que le roi Louis tendait vers elle. Les
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