Fiora et le Pape
ralliements se
succédaient, d’autant que le roi avait payé quelques-unes des rançons que les
nobles prisonniers du dernier combat devaient verser au duc de Lorraine. Et, au
moment de la quitter, Commynes avait murmuré :
– Le
Grand Bâtard Antoine, lui-même, le frère préféré et le meilleur capitaine du
défunt duc, songerait à se tourner vers nous. Votre époux ne pourra pas
toujours jouer les irréductibles. Un jour, il fera comme les autres : il
choisira la France.
Il ne
pouvait rien lui dire de plus réconfortant. Si le Grand Bâtard pensait que la
Bourgogne devait revenir dans le giron français et se souvenait que ses armes
portaient les fleurs de lys, il entraînerait à sa suite ceux qui avaient pour
lui estime et amitié. Philippe était de ceux-là. Il bouderait peut-être quelque
temps encore. L’important était qu’il n’eût pas commis quelque action
irréparable, et Fiora se souvenait trop bien d’avoir réussi, de justesse, à lui
éviter l’échafaud pour avoir tenté d’abattre le roi Louis. Évidemment, s’il
avait choisi de suivre en Allemagne la duchesse Marie, il était possible qu’il
ne revienne pas avant longtemps.
Cette
idée, Fiora la repoussait de toutes ses forces. Elle devait garder l’esprit
clair et plein d’espérance pour que son enfant hérite à travers elle de ces
heureuses dispositions. Après la naissance, peut-être pourrait-on se mettre à
la recherche de Philippe. Le roi serait probablement revenu de ses campagnes,
son aide serait précieuse. L’enfant ferait le reste.
Peu de
temps après la visite de Commynes, un nouveau voyageur vint frapper à la porte
du manoir. C’était, venant de Paris, le jeune Florent, l’apprenti banquier d’Agnolo
Nardi. Il arriva par un soir de pluie, trempé comme un barbet en dépit du gros
manteau à capuche qui l’emballait et s’étalait sur la croupe d’un cheval tout
aussi mouillé, mais ses yeux brillaient comme des chandelles et il rayonnait la
joie par tous les traits de son visage.
Florent
apportait, avec une longue lettre d’Agnolo emplie de détails financiers et d’affection,
toute la chaleur amicale des habitants de la rue des Lombards et une bourse
assez ronde qui contenait les intérêts de Fiora dans les affaires de l’ancienne
maison Beltrami. Fiora s’étonna que l’on eût confié une telle somme à un tout
jeune homme lancé au hasard des grands chemins, mais celui-ci ne fit que rire
de ses craintes rétrospectives : grâce à Dieu, la police du roi Louis
était bien faite et les routes de France où couraient à présent les chevaucheurs
de la poste royale aussi sûres qu’il était possible.
– Dans
ce cas, pourquoi n’avoir pas remis tout ceci à la poste ? demanda
malicieusement Fiora, renseignée depuis longtemps sur la nature des sentiments
que lui portait le jeune homme. Je suis confuse que vous ayez pris toute cette
peine, Florent. Ce long chemin, et par ce temps...
– D’autant,
fit Léonarde en écho, que la belle saison n’est pas pour demain. Les gens de
par ici prévoient une assez longue période de pluie. Le retour ne sera pas plus
agréable.
Occupé
à se brûler héroïquement avec l’écuelle de vin aux herbes bouillant dont l’avait
gratifié Péronnelle tandis que son manteau fumait devant le feu de la cuisine,
Florent sortit du récipient des joues rouges et vernies comme une pomme d’api
et un regard d’épagneul amoureux.
– Avec
votre permission, donna Fiora... je ne repartirai pas. Je suis venu pour
rester, et maître Nardi le sait !
– Vous
voulez rester ici ? Mais, Florent, pour quoi faire ? Je n’ai pas
besoin d’un secrétaire !
– Pour
être votre jardinier. Vous savez que je n’ai jamais eu le goût des écritures et
que, chez maître Nardi, je m’occupais beaucoup plus de fleurs et de légumes que
de comptes et de lettres de change.
– Mais
votre père ? Il voulait que vous deveniez banquier. Il doit être furieux.
– Il
l’a été, dit Florent joyeusement en secouant sa lignasse couleur poussin qui,
en séchant, se mettait à ressembler à un petit toit de paille, mais ma mère a
pris ma défense. Que je veuille soigner le jardin d’une grande dame lui
convient tout à fait. D’autant que mon frère cadet, qui n’aime que la finance,
s’est déjà précipité pour prendre ma place. Je suis donc libre de vous servir.
– Vous
ne manquez pas de toupet, mon garçon, intervint Léonarde qui faisait de
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