Fiora et le Pape
gros
efforts pour être sévère. Il ne vous vient pas à l’idée que nous n’avons aucun
besoin de vous ?
Les
yeux d’épagneul se remplirent de larmes.
– On
a toujours besoin d’un bon jardinier dans un domaine, et le vôtre me semble
beau. Oh, je vous en supplie, donna Fiora, ne me renvoyez pas ! Laissez-moi
rester ici, auprès de vous. Je ferai ce que vous voulez... même le plus gros
ouvrage, le plus dur. Je ne tiendrai pas beaucoup de place : un peu de
paille dans l’écurie et un peu de soupe. Je ne vous coûterai rien.
– Là
n’est pas la question, dit Fiora. Ce qui compte, c’est que je n’ai pas beaucoup
d’avenir à vous offrir.
– Un
avenir où vous ne serez pas n’offre aucun intérêt pour moi. De toute façon,
ajouta-t-il têtu, je ne m’éloignerai pas. Même si vous ne voulez pas de moi, je
resterai dans ce pays. Je trouverai bien à me louer quelque part. Je suis jeune
et solide.
Tandis
que Fiora, émue, interrogeait Léonarde du regard, Etienne, qui, assis dans la
cheminée, faisait sécher ses houseaux et ses brodequins en mâchonnant un
morceau de saucisse sèche, toussota comme il le faisait toujours dans les rares
occasions où il prenait la parole, et déclara :
– Le
travail ne manque pas ici. J’ai fort à faire avec la ferme et je m’arrangerais
bien d’un aide... surtout pour le jardin qui est vaste !
Ayant
dit, il retourna à sa saucisse et à son silence, laissant les femmes démêler le
problème comme elles l’entendraient. Pour Péronnelle, d’ailleurs, la cause
était entendue. Puisque son seigneur et maître était pour que le garçon reste,
elle l’adoptait sans plus de façons.
– On
pourrait l’installer dans une soupente ? fit-elle. Ce ne serait pas
mauvaise chose qu’un homme dans la maison, puisque Etienne s’est installé dans
les communs avec les chiens pour mieux veiller aux rôdeurs.
Florent
la regarda comme si elle était sa mère. Elle s’occupait d’ailleurs à le
nourrir, étalant sur la longue table de la cuisine un chanteau de pain
fraîchement cuit, un jambon entamé, une écuelle de soupe aux choux agrémentée
de belles tranches de lard, un grand pot de rillettes, des fromages de chèvre,
un pot de confiture de fraises, une petite motte de beurre et un pichet de vin
frais. Après quoi elle se tourna vers Fiora, l’œil interrogateur :
– Alors,
que faisons-nous, not’dame ? On l’adopte, ou on le rejette dans les ténèbres
extérieures, là où tout n’est « que pleurs et grincements de dents » ?
– Ma
foi, j’aurais mauvaise grâce à vous contrarier si vous le prenez sous votre
aile, dit Fiora en riant. Soyez donc le bienvenu, Florent ! J’espère que
vous serez heureux ici et que vous ne regretterez jamais d’avoir quitté maître
Nardi.
– N’ayez
crainte ! fit-il radieux. Grand merci, donna Fiora. Vous ne regretterez
jamais de m’avoir pris à votre service.
– Mon
service est un grand mot. Disons que vous figurez désormais parmi ceux qui font
vivre cette maison afin qu’elle soit un foyer doux et chaleureux, un cocon
douillet et bien protégé pour le petit enfant qui va venir.
– Vous
attendez ? ...
La
cuillère en arrêt au-dessus de l’écuelle, Florent permit à son regard de
considérer la taille de la jeune femme. Il devint très rouge et resta la bouche
ouverte, sans plus savoir que dire.
– Eh
oui ! dit Fiora en souriant. Je serai mère en septembre. Cela change-t-il
quelque chose à vos intentions ? Je ne sais quand je reverrai mon époux,
le comte de Selongey... ni même si je le reverrai un jour, car j’ai peur qu’il
ne soit en péril, mais je suis sa femme, rien que sa femme, et aucun homme,
jamais, ne pourra prendre dans mon cœur la place qui est la sienne,
ajouta-t-elle gravement. Chacun ici le sait et j’entends que vous le sachiez
aussi. Avez-vous toujours envie de rester près de nous ?
Laissant
tomber sa cuillère, Florent se leva et planta son regard bleu dans celui de la
jeune femme :
– Si
je me suis voué à vous, donna Fiora, je n’ai pourtant jamais osé espérer autre
chose qu’un sourire ou un mot d’amitié. Je souhaitais veiller sur vous, mais
soyez certaine que je veillerai sur l’enfant avec autant de soin et de
dévouement que sur sa mère.
Trouvant
sans doute que l’on s’attendrissait beaucoup, Léonarde pesa des deux mains sur
les épaules du garçon pour l’obliger à se rasseoir.
– Voilà
qui est dit et bien
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