Fiora et le Pape
leur prodiguait ses soins, les plates-bandes se chargeaient de
couleurs et de parfums jusqu’à en déborder. Jamais on n’avait vu si grosses
giroflées ni si odorantes, iris et pivoines si florifères. Florent, en courant
les environs pour essayer de se procurer de nouvelles plantes, s’était lié d’amitié
avec le jardinier du château du Plessis qui lui prodiguait conseils et boutures
avec une générosité toute royale. Quand vinrent les longues soirées du début de
l’été, Florent, en voyant Fiora et Léonarde s’attarder sur un vieux banc de
pierre pour y respirer l’odeur de « ses » roses, de « son »
chèvrefeuille et de « son » jasmin, se sentit payé de ses peines et
remercia d’un cœur sincère le Seigneur Dieu de lui permettre d’entourer celle
qui était à jamais son étoile de toute la magnificence de sa Création...
Ainsi
allait la vie dans la maison aux pervenches, infiniment douce et calme, bien
loin du vacarme et des fureurs de la guerre, et sans que personne imaginât qu’au
même moment se jouait un de ces drames comme se plaît à en susciter la folie
des hommes. Fiora préparait tendrement l’enfant de Philippe, sans imaginer un
seul instant qu’à Dijon ce même Philippe allait bientôt monter sur ce vieil
échafaud du Morimont qui avait vu mourir Jean et Marie de Brévailles. Les flots
irisés de la Loire et l’épaisseur fraîche des forêts l’enfermaient à la manière
d’un anneau magique sur lequel venaient se briser les bruits lointains du
siècle.
CHAPITRE III LE PRISONNIER
A
mesure qu’approchait le temps de sa délivrance, Fiora, loin de s’abandonner aux
joies du repos et aux douceurs des coussins moelleux, faisait preuve d’un
surcroît d’activité. Elle ne tenait pas en place, pour la plus grande frayeur
de Léonarde et de Péronnelle qui craignaient à chaque instant un accident dès
qu’elles la voyaient trotter dans le jardin et dans le bois, grimper sur sa
mule pour aller faire oraison au prieuré de Saint-Côme ou ramasser les œufs à
la ferme. Mais il y avait en elle une allégresse qui la poussait en avant. Il
lui semblait que plus elle se montrerait forte et plus son enfant serait
vigoureux et bien portant.
C’est
ainsi que, le vingt-cinquième jour du mois d’août qui était la Saint-Louis,
fête patronale du roi de France, elle décida Léonarde à l’accompagner à Tours,
pour voir la ville sous ses plus beaux atours et prier, une dernière fois, au
tombeau du grand saint Martin. Elle y était déjà venue plusieurs fois et en
avait retiré un si grand bien, une telle paix de l’âme qu’elle voulait y puiser
une énergie supplémentaire pour l’épreuve qui allait venir.
Léonarde
se fit un peu tirer l’oreille. Dans une semaine peut-être l’enfant s’annoncerait,
et il n’était guère prudent de s’aventurer dans les remous d’une ville en fête,
mais Fiora était si fermement attachée à son idée qu’il fut impossible de l’y
faire renoncer. En outre, Florent trancha
la
question en disant que l’on mettrait une selle de femme [iv] bien rembourrée
sur la plus douce de leurs mules et que, de toute façon, il escorterait ces
dames pour les protéger s’il y avait trop grande foule sur les parvis et dans
les rues.
Il
faisait ce jour-là un temps délicieux, d’une grande douceur, et bien agréable
après les fortes chaleurs qui, durant une quinzaine, avaient pesé sur la
région, obligeant Florent à une intense activité pour garder à son jardin vie
et fraîcheur. Le ciel était d’un bleu profond, semé de petits nuages blancs qui
ressemblaient à des agneaux, et toute la nature, lavée à grande eau par la grosse
pluie qui avait suivi un vigoureux orage, resplendissait de verdure et de
fleurs comme si elle était dans sa plus verte nouveauté.
Tandis
qu’il l’aidait à prendre place dans le petit siège fixé au bât de la mule,
Florent pensa que Fiora, en dépit de sa taille déformée, était plus belle que
jamais. Sa robe de toile fine et son voile fixé à une haute coiffure en forme
de croissant étaient du bleu tendre des fleurs de lin qui se reflétait dans ses
yeux et faisait chanter son teint délicat. Aucune marque disgracieuse ne
déparait son visage et le cerne de ses paupières n’était qu’un charme de plus.
Et le brave garçon, dans la simplicité de son cœur, se demandait comment un
homme ayant eu l’incroyable chance de la tenir dans ses bras, de baiser
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