Fiora et le Pape
Saint-Symphorien ?
– Non
pas ! Nous voulions seulement voir le cortège. Nous habitons au Plessis,
ajouta-t-il d’un air négligent.
– Alors
restez près de moi. Vous ne pouvez le manquer. D’ailleurs, voilà la foule qui
reflue.
Galamment
et après avoir, d’un clin d’œil, pris l’avis de l’autre sentinelle, il fit
garer les deux mules sur le pont-levis du château, ce qui assurait aux deux
femmes un emplacement rêvé à l’abri de la bousculade. Il était temps. Tous ceux
qui n’avaient pu franchir la porte dont la haute ogive se découpait sur le ciel
fulgurant étaient repoussés en arrière par une force contre laquelle ils ne
pouvaient rien, alors que ceux qui étaient sur le pont ne pouvaient plus
revenir sur leurs pas, le cortège du prisonnier leur coupant la retraite.
Certains étaient tombés à l’eau, sans doute, car on avait entendu des cris et
des « plouf » retentissants. Fiora sentit que son cœur se serrait,
elle craignait éperdument que ce prisonnier de marque ne fût son époux. Cela
tenait à certains bruits qui venaient jusqu’à elle :
– Paraît
que c’est un rebelle bourguignon ! Il s’est battu contre notre roi ! L’un
des hommes de ce maudit Téméraire !
Des
bruits venus de n’importe où, des cris poussés par des gens qui au fond ne
savaient rien, des injures stupides, gratuites et trop faciles en face d’un
homme réduit à l’impuissance. Enfin, sous l’arche en fer de lance, la cage
apparut, dominant la houle des têtes. Cahotant sur les cailloux du fleuve qui
pavaient la rue, une sorte de plateforme grossière s’avançait avec difficulté
au milieu d’un groupe de cavaliers, la lance au poing, et, sur cette espèce de
plateau, il y avait une cage assez haute pour qu’un homme pût s’y tenir debout,
une cage faite de grosses lattes de bois armées de coins en fer dans laquelle
un homme, accablé peut-être par la chaleur du soleil dont rien ne le
protégeait, était assis.
On ne
pouvait voir son visage, car sa tête était cachée dans ses bras posés sur ses
genoux, peut-être pour donner moins de prise aux projectiles de toute sorte que
lui lançait la populace avec des cris de mort. Cet homme était un de ces
Bourguignons contre lesquels il avait fallu combattre durant près d’un siècle
et, même au pays de la douceur de vivre, on avait la rancune tenace. A mesure
que le char avançait, la foule hurlait plus fort et les gardes durent faire
usage de leurs lances pour la tenir à distance. Sans cela, elle eût peut-être,
sans rien savoir de ce captif, pris la cage d’assaut.
Un
soupir de soulagement dégonfla la poitrine de Fiora. Philippe était brun et les
cheveux de celui-là, bien que fort sales, étaient d’un blond de blé. Le dégoût
lui serra la gorge. De tout son cœur, elle détesta ces gens, si aimables et si
paisibles en temps normal, et que la seule vue d’un inconnu dont on leur disait
qu’il était un ennemi suffisait à changer en une horde de loups. Elle regardait
cette scène cruelle sans parvenir à en détacher son regard, et une immense
pitié se levait en elle pour ce malheureux qui devait souffrir mille morts par
ce jour d’été et sans une goutte d’eau à boire. Son regard vrilla Florent :
– Va
me chercher une pinte de vin frais à l’auberge ! Le ton était de ceux
auxquels on ne résiste pas.
Comprenant
que, s’il n’obéissait pas, il risquait d’être chassé sur l’heure, Florent ne
discuta pas, s’esquiva rapidement et revint peu de minutes après avec un pichet
qu’il remit en tremblant à la jeune femme.
– Que
prétendez-vous faire ? murmura Léonarde qui cependant avait déjà compris.
Fiora
néanmoins consentit à s’expliquer :
– Nous
avons peut-être rencontré cet homme l’an passé au camp du duc Charles. Je veux
lui porter secours...
Et,
sans attendre davantage, elle poussa sa mule dans la foule en direction de la
cage.
– Dame !
Où allez-vous ? cria le soldat qui lui avait offert le refuge du
pont-levis.
– Là
où je dois aller ! Cet homme est un prisonnier. Pas un condamné !
Devant
le poitrail de l’animal, la foule s’ouvrit presque sans protester. Cette femme
si belle et si visiblement près de son terme lui en imposait. Mais l’un des
lanciers voulut s’opposer :
– Que
faites-vous ? Hors d’ici !
– Je
suis une amie du roi Louis dont c’est aujourd’hui la fête et je veux offrir un
peu de vin à ce malheureux.
Weitere Kostenlose Bücher